L’Assemblée des représentants du peuple vient de rejeter l’article 50 du projet de loi de Finances 2026, qui instaurerait un impôt sur la fortune. Les députés ont invoqué les risques pour l’épargne, l’investissement et la création de richesse, soulevant des inquiétudes sur l’efficacité d’une mesure qui semblait pourtant vouloir promouvoir la justice fiscale.
Plus de 150 amendements ont été débattus, ce qui dénote d’une certaine ampleur du travail mené sur un texte jugé structurant pour les finances publiques.
Toutefois, malgré son examen approfondi au sein de la plénière, il est finalement rejeté par 10 voix contre et 3 voix pour. Cet impôt controversé visait à taxer les patrimoines des particuliers au-delà de certains seuils, mais plusieurs élus ont exprimé des réserves profondes quant à sa mise en œuvre et à ses conséquences économiques. Selon le député Maher Ketari, ce projet s’appuyait sur le décret n° 79 de 2022, adopté sans débat parlementaire, et risquait d’avoir des effets néfastes sur l’épargne, l’investissement et la création de richesse. Certains ont estimé qu’un impôt sur la fortune pourrait accentuer la pression fiscale sans résoudre les déséquilibres structurels du budget. Le député Amine Ouergui, membre de la Commission des finances, a également mis en garde contre le fait que cette disposition menace le système d’épargne tunisien. Il a évoqué les difficultés d’évaluation des biens mobiliers et immobiliers, ainsi que la charge administrative que représenterait la déclaration de ces avoirs pour l’administration fiscale, les bureaux topographiques et les experts.
Que dit l’article 50 ?
Le projet d’impôt sur la fortune visait à taxer les patrimoines nets des personnes physiques dès 3 millions de dinars : un taux de 0,5% pour les fortunes entre 3 et 5 millions, et 1% au-delà de 5 millions. Il s’agit de taxer les patrimoines les plus élevés en incluant biens immobiliers, actifs financiers et patrimoine mobilier et ce, en vue d’élargir l’assiette fiscale et par là même, renforcer et solidifier les recettes de l’État dans un contexte de fortes contraintes et défis budgétaires. Cela dit, certains biens auraient été exemptés, parmi lesquels la résidence principale, les biens professionnels et les véhicules non utilitaires jusqu’à 12 CV. Selon le député Maher Ketari, intervenu sur les ondes d’une radio de la place, la Commission des finances avait procédé à une évaluation exhaustive de l’impact de cet impôt depuis son entrée en vigueur en 2022. Les conclusions de cette analyse, fondée sur des indicateurs macroéconomiques, des données fiscales consolidées et des projections comportementales, mettent en lumière une série de limites structurelles et de dysfonctionnements opérationnels ayant entravé l’efficacité attendue du dispositif. Il n’y a donc aucune amélioration générée par l’impôt sur la fortune, des recettes fiscales.
Risque de décourager le recours à l’épargne nationale
Il a ajouté que ce type de prélèvement serait de nature à décourager le recours à l’épargne nationale, ce qui influe sur les capacités d’investissement, les ressources financières mobilisables pour le financement de projets productifs risquant de s’amoindrir. Ce qui aurait pour conséquence de ralentir le rythme d’accumulation du capital et compromettrait par là même, la création de richesses et la performance économique globale. C’est donc une mesure contreproductive sur le plan économique. Selon le vice-président de la Commission des finances à l’Assemblée, Issam Chouchane, le rejet de l’article 50 pourrait déboucher sur la convocation d’un comité de conciliation entre les deux chambres pour trouver un compromis. La question de la réforme fiscale reste donc ouverte, entre ambition sociale et réalisme économique.
Le rejet par le Parlement de l’impôt sur la fortune marque ainsi un revers symbolique pour le gouvernement, qui tentait de formaliser un mécanisme de redistribution des richesses. Mais il révèle aussi les tensions persistantes entre justice sociale et crainte d’un impact négatif sur l’économie. Le débat fiscal reste un terrain délicat en Tunisie, où la quête d’équité se heurte à la fragilité structurelle des finances publiques et à la peur de désengager les investisseurs. La suite dépendra de la capacité des législateurs à trouver un compromis conciliant ambition redistributive et attractivité économique.
Taxer les grandes fortunes pour réduire la pression sur les classes moyennes
Pour l’Exécutif, cette taxation des patrimoines élevés constituait une réponse aux exigences de justice fiscale, dans un contexte de déficit public persistant. Les responsables du ministère des Finances mettent en avant la logique d’un système progressif, à savoir taxer davantage les grandes fortunes pour réduire la pression sur les classes moyennes déjà très sollicitées. Ainsi, l’introduction d’un impôt sur la fortune devait permettre de faire contribuer davantage les détenteurs de grands patrimoines, évalués à plusieurs milliers, au financement de services publics essentiels et au soutien des catégories vulnérables. Le gouvernement défendait également une mesure «symboliquement forte», alignée sur les discours officiels prônant l’équité et la redistribution.
Risque d’ouvrir la voie à la fuite des capitaux
Or, plusieurs députés ont vivement critiqué la mesure, estimant qu’elle risquait de déstabiliser l’épargne, de freiner l’investissement privé et d’ouvrir la voie à une fuite des capitaux, dans un climat déjà marqué par l’incertitude économique. Ils ont mis en garde contre une taxation qu’ils jugent difficile à appliquer en raison des défis d’évaluation des patrimoines immobiliers et financiers. Certains élus affirment qu’un impôt sur la fortune «pénaliserait les acteurs économiques les plus transparents», sans régler les problèmes de fraude fiscale ni élargir réellement l’assiette fiscale.
Possibilité de mise en place d’un comité de conciliation
Au-delà des chiffres, le vote révèle un affrontement entre deux lectures de la fiscalité. D’une part, le gouvernement voit dans cet impôt un instrument de justice sociale et de cohésion nationale. De l’autre, les députés défendent une vision plus libérale basée sur l’attractivité économique et la protection de l’épargne. Ainsi, cet antagonisme reflète deux orientations profondes de la politique économique du pays : interventionniste d’un côté, prudentielle et favorable au secteur privé de l’autre. Le rejet parlementaire pourrait entraîner la mise en place d’un comité de conciliation pour tenter de rapprocher les positions. Une issue incertaine, tant le fossé politique et idéologique semble profond. Le dossier de l’impôt sur la fortune reste donc ouvert, symbolisant un débat national majeur, à savoir comment concilier justice sociale et stabilité économique.
Ahmed NEMLAGHI
