Il y a quelques jours, lors de la séance plénière consacrée au budget 2026 du ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, un des députés a relancé le débat sur la polygamie en Tunisie, chose qui a créé la surprise au sein du Parlement et qui a même suscité maints commentaires sur les réseaux sociaux. Ce qui est le plus frappant dans les propos de ce député, c’est que selon lui, «la polygamie pourrait résoudre de nombreux problèmes de la société tunisienne.» Il a déclaré également, en guise de justification, que «la polygamie est un dispositif légitime, institué par Dieu qu’il faut respecter !».
Un tel discours sur un sujet qu’on croyait déjà résolu et classé depuis longtemps, depuis la promulgation du Code personnel en 1957, n’a pas de raison d’être. L’on se demande pourquoi ce sujet est abordé aujourd’hui, alors que la femme tunisienne a acquis tous ses droits, dans la famille comme dans la société, reconnus de génération en génération, sans jamais oser les remettre en question. Aussi peut-on dire que toute tentative visant au retour de la polygamie sous nos cieux n’est ni possible ni acceptable, sachant qu’un tel discours pourrait alimenter une confrontation avec les organisations féministes, les défenseurs des droits humains, les juristes et une grande partie de la classe politique, sans oublier l’opinion publique.
Le Code du statut personnel : un acquis non négociable
Il va sans dire que parmi toutes les réformes appliquées en Tunisie après l’indépendance, l’une des plus importantes reste la promulgation en 1957 du Code du statut personnel. D’un seul mouvement, le législateur avait alors rétabli dans tous ses droits la femme tunisienne et instauré un mode de vie résolument moderne et depuis lors, la polygamie est strictement interdite en Tunisie, Depuis ce temps-là et encore aujourd’hui, la société tunisienne s’y est largement adaptée.
Toutefois, il y a certainement des groupes conservateurs à l’esprit rétrograde qui continuent de défendre des visions traditionnelles en relançant le débat sur la condition féminine et, partant, sur l’application des préceptes de la religion, comme le retour à la polygamie. D’ailleurs, cela existe dans certaines sociétés arabo-musulmanes où la polygamie est interdite et ce n’est pas spécifique à la Tunisie. Notre pays, à la différence de plusieurs pays dans le monde, possède un Statut personnel qui organise la vie familiale, sociale et économique de la femme et qui assure les droits de la femme quant aux questions matrimoniales. Jusqu’à présent, tout va à merveille. Pourquoi donc relancer un tel débat qu’on croyait déjà révolu depuis longtemps ?
Que ces groupes conservateurs et à l’esprit chagrin sachent qu’aujourd’hui, la femme tunisienne a d’autres soucis que de revenir à la polygamie. La vie moderne s’est installée chez nous et la femme cherche plutôt à s’y adapter davantage en aspirant à améliorer sa vie conjugale, professionnelle et sociale, ayant des droits déjà assurés par la loi. Et puis, les temps ont évolué, les phénomènes comme la crise économique à l’échelle mondiale et nationale, ont exacerbé la précarité au sein de la population, ce qui a conduit les gens à changer leurs opinions sur la famille polygame qui devient de moins en moins acceptée.
Les méfaits de la polygamie
La majorité écrasante de la population tunisienne vous dira que la polygamie est contraire à l’égalité des sexes et peut avoir de graves conséquences affectives et financières pour la femme et les personnes à sa charge. Par ailleurs, les sociologues et les psychologues sont unanimes pour dire que la polygamie pourrait générer des conflits au sein des familles (conflits entre épouses, entre les enfants des différentes épouses, entre une épouse et ses enfants contre le mari et ses autres femmes et enfants, etc.). Ajoutons à cela que la vie affective entre les membres de différents ménages y est habituellement menacée de distorsions, menant souvent à une rivalité sauvage, voire destructrice pour la famille où les membres entretiennent des rapports souvent difficiles et où la communication est constamment perturbée, empreinte de jalousie, de rivalités, d’égoïsme, de règlements de compte directs ou par personnes interposées (les enfants surtout). Les chercheurs soulignent que compte tenu du fait que la polygamie se caractérise normalement par l’union d’un seul homme avec deux femmes ou plus, la compétition, la jalousie entre les coépouses est une observation commune au sein des communautés qui pratiquent le mariage multiple. Toujours selon l’avis des sociologues et des psychologues, cela empêche les membres de la famille polygame de tisser entre eux des liens affectifs stables. Parfois, la famille se fige dans l’immobilisme ou s’engage dans une instabilité destructrice. Sur le plan psychologique, les souffrances qui en découlent sont nombreuses. Certes, ces conflits peuvent exister dans des familles monogames, comme chez nous, mais à un degré moindre.
Bref, toute discussion officielle ou officieuse autour de la polygamie est à exclure chez nous, tant que la majorité des femmes est assez satisfaite de sa situation et qu’aucune association ou institution féminine n’appelle à la nécessité de modifier l’actuel Code du statut personnel qui, jusqu’ici, fonctionne sans problème.
Hechmi KHALLADI
