Par Slim BEN YOUSSEF
Depuis plusieurs décennies, des régions entières du pays vivent dans l’angle mort des politiques publiques. Elles portent les traces d’un long cycle de développement dissymétrique, qui a créé des pôles durablement privilégiés, laissant de vastes zones à l’écart du mouvement national. Leurs habitants n’ont jamais choisi cette condition. Ils ont subi les détours de l’histoire administrative, la lente dégradation des services essentiels, la maigreur des dotations successives, la dispersion continue de l’effort public. La dignité, pourtant, demeure intacte. Elle attend simplement un État social qui assume son rôle et répare les injustices accumulées.
L’urgence commande une action directe : infrastructures sociales, services de proximité, santé de base, routes et transports, écoles capables d’accueillir tous les enfants. Le développement équitable cesse d’être une idée lorsqu’il s’ancre dans la vie quotidienne. Ibn Khaldoun rappelait que la solidité d’un pays se mesure à la qualité de son « idéal de service public ». Un État n’est jamais aussi présent que lorsqu’il réduit les dépenses des ménages, soulage les budgets vulnérables, restaure les conditions minimales d’un quotidien apaisé.
Cette exigence rejoint un autre pilier du contrat républicain : la vitalité de la classe moyenne. Sa vigueur raconte l’état moral et matériel d’une nation. Lorsqu’elle stagne, tout s’assombrit. Lorsqu’elle prospère, tout s’éclaire. Le projet de loi de finances doit donc prendre à bras-le-corps la question salariale. Augmenter les revenus revient à relancer l’espérance collective et à réactiver le mouvement d’ascension qui fait tenir une société debout. Une classe moyenne nombreuse, appliquée, inventive, mais aussi épanouie et dotée d’un espace de vie agréable, forme la charpente silencieuse d’un pays stable. Voltaire y aurait vu la possibilité de « cultiver son jardin », Horace un présent où l’on goûte le jour sans vigilance inutile. Une société qui garantit cette sérénité matérielle et morale rouvre l’accès à la « vie vive » célébrée par les anciens.
Qu’est-ce que la « vie vive » ? La faculté de trouver, dans son propre pays, un bonheur authentique qui n’attend ni exil, ni lassitude ni vulnérabilité.
Reconnecter le territoire, restaurer la dignité, relancer l’élan économique : telle est l’exigence du moment. Une République s’affirme dans la cohésion de ses régions, dans la vigueur joyeuse de sa classe moyenne et dans un exercice continu de la justice sociale.
