S’il est un fait de notoriété publique, c’est bien que nos élèves ne lisent pas chez nous. La lecture n’est exercée ni comme activité scolaire ni extrascolaire. Il en est de même des élèves dans le milieu scolaire. Depuis des décennies, on assiste à une montée des sections scientifiques, techniques et économiques dans nos écoles et on remarque l’intérêt porté par les élèves aux branches mathématiques et informatiques, si bien que la lecture, surtout des œuvres littéraires, a perdu de sa valeur chez nos jeunes.
Or, dans un pays comme le nôtre où le taux de scolarisation a atteint 98% et où l’analphabétisme a été sensiblement réduit, la lecture devrait être une obligation, une nécessité tout comme l’air qu’on respire. On doit lire pour se cultiver, s’enrichir, acquérir des expériences, approfondir ses connaissances ; on doit lire pour se faire plaisir, pour s’évader, se reposer, se divertir, s’ouvrir sur l’autre, etc. Les vertus de la lecture sont innombrables. Sans les livres, l’ignorance règnera dans le monde. Sans les livres, on ne trouvera jamais de réponses à nos problèmes et à nos ressentiments (stress, violence, haine, guerres, barbarie, peur et toutes les absurdités de la vie). Il est dommage que la majorité de nos élèves, à tous les niveaux scolaires, accorde de moins en moins d’importance à la lecture, que ce soit comme activité de classe ou comme loisir.
Les raisons de cette aversion pour la lecture
En effet, collégiens, lycéens ou étudiants ne lisent pas les livres de fiction comprenant plusieurs chapitres qu’on lirait du début jusqu’à la fin, sur plusieurs jours, dont on peut parler entre amis ou à son prof, après les avoir lus…, mais leurs lectures sont plutôt documentaires, informatives, spécifiques et pragmatiques, donc plus courtes. Il n’y a qu’une petite portion d’étudiants qui parcourent les journaux quotidiens à la recherche d’une information sportive ou une nouvelle sur les stars de la chanson ou du cinéma, en jetant un coup d’œil sur l’horoscope du jour ; mais les œuvres littéraires classiques ou modernes n’ont souvent aucun sens pour eux. L’avènement d’Internet et des réseaux sociaux ne leur laisse pas le temps de lire (au sens classique du terme). Depuis, la lecture a reçu le coup de grâce. Et voilà que le livre devient leur dernier souci et le désamour de la lecture se manifeste chaque jour davantage chez les nouvelles générations. Malheureusement, le livre, cet outil à la fois riche et utile, risque de perdre du terrain chez les jeunes d’aujourd’hui qui se tournent de plus en plus vers le domaine électronique… C’est une réalité incontournable : l’ordinateur et Internet sont les nouveaux outils de l’information et du savoir, à moins qu’ils soient utilisés à bon escient.
La lecture est avant tout une tradition qui se transmet de génération en génération dans la famille. On ne naît pas liseur. Quand les parents n’ont pas l’habitude de lire pendant leurs heures de repos, cela n’incite pas leurs enfants à lire, préférant passer la majorité de leur temps devant l’écran. Dans son livre «Qui lit petit lit toute sa vie», Rolande Causse, auteure française, montre que la lecture est une habitude qui s’acquiert dès la prime enfance où se développe chez l’enfant le goût du livre. Ce sont donc les parents qui font découvrir le goût et le plaisir de la lecture à leur enfant.
Sensibiliser davantage à la lecture
Selon les dernières statistiques dévoilées par la direction de la lecture publique du ministère des Affaires culturelles, le Tunisien ne lit que 0,58 livre par an alors qu’un Européen en lit en moyenne près de 35. Pourtant, la Tunisie compte presque 450 bibliothèques publiques réparties sur tout le territoire dont 24 régionales et 36 bibliothèques ambulantes. Ce qui est pire, d’après un sondage mené par Emrhod Consulting, 74% des personnes interrogées ne possèdent aucun livre chez elles, en dehors de magazines, journaux, livres scolaires et le Coran. Des chiffres alarmants !
Au lieu de penser aux «cours particuliers» et aux «heures supplémentaires» dès la première année de base, il vaudrait mieux inscrire son enfant en bas âge à la bibliothèque municipale, l’y accompagner de temps en temps, se promener avec lui entre les rayons pour le diriger à tel livre ou à telle collection, visiter avec lui la foire du livre pour lui apprendre à repérer les différentes publications et distinguer entre les différents genres de littérature.
Une fois familiarisé au monde du livre, l’enfant en deviendra aussitôt un grand passionné. Petit à petit, il commence alors à faire ses choix : il préfère se plonger dans une B.D. ? Il a plutôt une prédilection pour les magazines ? Qu’à cela ne tienne ! L’essentiel est de lire. Il est toujours bien de le laisser choisir ses lectures. L’expérience lui fera découvrir progressivement les merveilles du livre. Il faudrait aussi penser à installer une bibliothèque personnelle à la maison, dans sa chambre même, où il apprendra à bien prendre soin de ses bouquins, à trouver du plaisir à les ranger, à les consulter, à les feuilleter à sa guise. C’est en effet la lecture qui le pousse à se poser des questions, à réfléchir, à découvrir d’autres modèles de vie, d’autres points de vue. C’est grâce à la lecture qu’il parvient à comprendre les enjeux de l’histoire et la complexité de la nature humaine.
Et que fait l’école ?
Et que peut faire l’école pour réconcilier les jeunes avec la lecture ? Il est à noter que le renoncement à la lecture est l’une des causes de la baisse du niveau linguistique et peut-être de l’échec scolaire chez les élèves. L’apprentissage de la lecture est sans doute un travail de longue haleine qui commence même avant l’école primaire.
C’est surtout à l’école et grâce à ses maîtres et maîtresses que l’enfant se familiarise avec le livre et peut étendre sa culture et donner plein sens à la lecture par laquelle il apprendra à accéder au savoir de manière autonome. Arrivé au collège, les profs consolideront ses acquis en matière de lecture en l’orientant vers de nouveaux ouvrages adaptés à son âge. Une fois au lycée, l’élève, étant bien initié aux techniques de la lecture, est alors capable d’approfondir son expérience dans le monde du livre en choisissant ses propres lectures. Dans toutes ces étapes, l’élève a besoin d’encadrement, d’assistance et surtout de motivation de la part de ses enseignants.
Pour remplir cette mission essentielle, les enseignants ont droit à la meilleure formation. Les inspecteurs, les conseillers pédagogiques, les formateurs des CREFOC (Centres régionaux de l’éducation et de la formation continue), sont donc les premiers responsables à veiller sur la bonne mise en œuvre du programme relatif à la pratique de la lecture scolaire et extrascolaire : souvent, bousculés par le temps, certains profs sont obligés de négliger les modules de lecture programmés pour chaque niveau, et la bibliothèque de classe, qui est d’ailleurs obligatoire, ne fonctionne pas bien ou parfois n’existe pas. Il est donc impératif de soutenir surtout les jeunes enseignants, mais aussi les enseignants plus expérimentés, pour que la pratique de lecture se traduise concrètement dans les classes.
Créer en même temps des clubs de langues dans tous les établissements, organiser des concours de lecture et d’écriture au moins une fois par trimestre, décerner des prix de valeur pour les meilleurs lecteurs, tout cela pourrait être utile. La formation continue assurée par les CREFOC devra consacrer périodiquement des journées destinées à l’apprentissage de la lecture, lesquelles journées devraient se concentrer sur l’utilisation des TICE (Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Education) au service de l’apprentissage de la lecture, afin que la séance de lecture dans nos écoles soit plus égayée, plus animée et plus motivante.
Hechmi KHALLADI
