L’annonce faite par le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar, avant-hier à Tunis, marque un tournant majeur dans la politique éducative tunisienne. Dès janvier prochain, la Tunisie lancera officiellement son programme national d’inclusion scolaire destiné aux élèves en situation de handicap. Cette initiative, élaborée conjointement avec le ministère de l’Éducation, ambitionne de transformer durablement le paysage scolaire national et d’assurer enfin une véritable égalité des chances pour des milliers d’enfants.
Une réponse structurelle à un besoin longtemps ignoré
Pendant des années, les familles tunisiennes ayant un enfant en situation de handicap ont dû affronter un double défi : l’accès à une scolarité adaptée et le coût souvent exorbitant d’un accompagnement spécialisé. Comme l’a rappelé le ministre de l’Éducation, Noureddine Nouri, ces accompagnateurs qualifiés sont rares et leurs services, lorsqu’ils existent, restent hors de portée pour une large partie des ménages, notamment les plus modestes. Le nouveau programme national vise précisément à combler cette lacune structurelle.
Pour la première fois, l’État met en place un mécanisme nationalisé, organisé, financé et encadré, permettant aux élèves en situation de handicap de bénéficier d’un accompagnement spécialisé public, intégré au système éducatif et conforme aux normes internationales.
Au cœur de cette réforme se trouve la formation d’enseignants spécialisés en éducation sociale. Ces accompagnateurs, recrutés parmi les diplômés du supérieur issus des institutions d’enseignement des adultes, recevront une formation intensive en inclusion scolaire. Celle-ci sera assurée par des experts du ministère de l’Éducation durant les vacances d’hiver, un choix qui illustre l’urgence et la volonté de ne pas retarder la mise en œuvre du programme. À partir de janvier prochain, 260 accompagnateurs entreront en fonction dans les écoles tunisiennes, avec un objectif clair : atteindre environ 1 000 accompagnateurs dans une phase ultérieure. Il s’agit d’une montée en puissance progressive mais déterminée, qui permettra d’assurer une couverture nationale et d’augmenter progressivement le nombre d’élèves bénéficiant de ce soutien essentiel.
Un programme pensé pour réduire les inégalités sociales
Un aspect fondamental du projet réside dans sa dimension sociale. Comme l’a souligné Thameur Toukabri, directeur général des personnes handicapées au ministère des Affaires sociales, les enfants issus de familles à faible revenu seront prioritaires lors de la première phase. Cette approche ciblée permet de répondre immédiatement aux situations les plus urgentes et d’éviter que l’accès à l’inclusion scolaire ne dépende, une fois de plus, du niveau de revenu de la famille. Cette orientation sociale est essentielle : elle garantit que l’éducation reste un droit universel et non un privilège. En offrant un accès équitable aux accompagnateurs spécialisés, la Tunisie réduit un fossé éducatif qui s’est creusé durant des années faute de ressources et de structures adaptées.
Le programme va toutefois bien au-delà de la présence d’accompagnateurs. Comme l’a expliqué Nadia Ayari, directrice générale de l’enseignement primaire, il repose également sur l’adaptation des pratiques pédagogiques, l’amélioration des équipements scolaires et la mise en place d’un environnement réellement inclusif. Concrètement, cela signifie des classes mieux préparées à accueillir la diversité, des enseignants formés aux besoins spécifiques, des outils pédagogiques adaptés et une approche centrée sur les compétences de l’enfant plutôt que sur ses difficultés. Cette vision holistique de l’inclusion scolaire constitue un changement profond dans la manière d’aborder le handicap à l’école.
Un investissement stratégique pour l’avenir de la Tunisie
Au-delà de ses impacts immédiats, le programme national d’inclusion scolaire s’inscrit dans une perspective beaucoup plus large, celle d’une société qui refuse l’exclusion et assume pleinement son devoir d’offrir à chaque enfant les conditions nécessaires pour réussir. Une éducation inclusive est un investissement stratégique. Elle favorise l’autonomie future des enfants en situation de handicap, réduit les risques d’abandon scolaire, améliore leur intégration professionnelle et sociale et contribue à l’émergence d’une société plus cohésive, plus juste et plus compétitive.
L’État tunisien franchit ainsi une étape historique, mais le chemin reste long. Pour assurer la réussite du programme, il faudra garantir la continuité de la formation, veiller à la qualité du recrutement, renforcer les moyens pédagogiques et assurer une coordination efficace entre les établissements scolaires, les familles et les institutions publiques.
Cependant, le message envoyé est clair : la Tunisie choisit l’inclusion, la dignité et l’égalité. À travers ce programme, elle pose les bases d’un système éducatif plus humain et plus ambitieux, capable de donner à chaque enfant une vraie chance de construire son avenir.
Leila SELMI
