L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a franchi, avant-hier soir, une étape importante dans la modernisation du secteur agricole en adoptant plusieurs dispositions clés du projet de loi de Finances 2026. Parmi elles, l’article 135, qui autorise désormais l’utilisation de drones agricoles pour l’épandage de produits phytosanitaires, et l’article 138, consacrant la création d’une nouvelle ligne de financement pour la restructuration des terres domaniales.
Ces deux décisions témoignent d’une volonté politique d’accélérer la transformation du modèle agricole national et de renforcer l’efficacité des exploitations publiques et privées.
L’adoption de l’article 135 représente un tournant dans l’approche tunisienne de la protection des cultures. Jusqu’ici, l’épandage de produits phytosanitaires se faisait essentiellement par pulvérisation terrestre ou aérienne traditionnelle, des méthodes souvent coûteuses, lentes, difficiles à déployer sur certains terrains et parfois dangereuses pour les opérateurs. Grâce à l’autorisation d’utiliser des drones, les agriculteurs disposeront d’un outil moderne capable d’améliorer la rapidité d’intervention, la précision des traitements et la réduction des risques humains. Les drones permettent en effet de cibler précisément les zones à traiter, d’utiliser des doses plus maîtrisées et de limiter la dispersion des produits chimiques, contribuant ainsi à une meilleure protection de l’environnement.
Cette mesure a été adoptée par 60 voix pour, 29 contre et 14 abstentions, révélant un débat parlementaire animé. Toutefois, une majorité de députés ont jugé que l’introduction de cette technologie était devenue indispensable pour améliorer la compétitivité du secteur agricole, confronté à des défis croissants tels que le changement climatique, les maladies des cultures et la baisse des rendements.
Un cadre légal en préparation
La ministre des Finances, Michket Slama Khaldi, a toutefois précisé que l’usage de drones ne se fera qu’avec les autorisations nécessaires et dans le respect des règles fixées par les autorités compétentes. Elle a annoncé que le gouvernement travaille actuellement sur un projet de loi spécifique encadrant l’utilisation de ces appareils, qui sera bientôt soumis au Parlement.
Cette future législation est attendue pour définir avec précision les conditions d’utilisation, les normes de sécurité, les responsabilités des opérateurs et les modalités d’obtention des licences. Un cadre réglementaire rigoureux est indispensable, d’autant plus que le dossier touche à des compétences relevant de ministères souverains, notamment la Défense, l’Intérieur et l’Agriculture.
Un fonds pour restructurer et rentabiliser les terres domaniales
Outre la modernisation technologique, le Parlement a également approuvé l’article 138, qui prévoit la création d’une ligne de financement destinée à restructurer les terres domaniales de plus de 1 000 hectares. Ces terres, placées sous la gestion de l’Office des terres domaniales (OTD), représentent un patrimoine agricole stratégique, mais demeurent souvent sous-exploitées en raison de problèmes de gestion, d’un manque d’investissements et d’infrastructures insuffisantes. La nouvelle ligne de financement ambitionne d’améliorer la rentabilité des exploitations publiques, de soutenir l’emploi des jeunes ingénieurs et promoteurs agricoles et de garantir les moyens nécessaires à une gestion plus performante. Elle concernera notamment les régions de Sfax, Siliana, Béja et Jendouba, où les terres domaniales présentent un potentiel important, encore faiblement valorisé. Ce fonds permettra ainsi la remise à niveau des infrastructures, l’acquisition de matériel moderne, la restructuration des périmètres agricoles et le renforcement du suivi technique et administratif durant toute la phase de transformation. L’objectif est clair : faire de ces terres un véritable levier de développement régional, capable de générer investissement, emploi et performances agricoles durables.
Une vision d’ensemble pour un secteur en transition
Ces deux mesures, l’autorisation des drones et la restructuration des terres domaniales, s’inscrivent dans une même logique, celle d’une agriculture tunisienne en pleine transition, cherchant à concilier innovation, productivité et durabilité. L’introduction des drones ouvre la voie à une agriculture de précision, plus efficace et plus respectueuse des ressources. De son côté, la réorganisation des terres domaniales permet de valoriser un patrimoine foncier stratégique et d’offrir de nouvelles opportunités aux jeunes diplômés dans un secteur qui manque encore de modernisation.
En adoptant ces dispositions, le Parlement envoie un signal fort : la Tunisie entend moderniser son agriculture, renforcer sa souveraineté alimentaire et proposer un cadre favorable à l’innovation et à l’investissement. Reste à transformer ces intentions en résultats concrets sur le terrain, un défi qui nécessitera coordination, suivi rigoureux et volonté politique continue.
Leila SELMI
