Greenpeace MENA (Moyen-Orient/Afrique du Nord) vient de publier un rapport intitulé «From Energy Security to Sovereignty : pathways for a Just Energy Transition in Egypt, Morocco, and Tunisia» («De la sécurité énergétique à la souveraineté : les voies d’une transition énergétique juste en Égypte, au Maroc et en Tunisie»), et ce, afin d’expliquer, entre autres, que, sans réforme, la transition énergétique en Afrique du Nord pourrait favoriser les investisseurs au détriment des communautés et que le décalage structurel entre ambition et capacité institutionnelle constitue un défi pour notre pays.
Selon Greenpeace MENA, malgré le potentiel considérable en matière d’énergies renouvelables et les objectifs ambitieux fixés par l’Égypte, le Maroc, et notre pays, la transition énergétique reste largement influencée par des acteurs externes, des motivations lucratives et des intérêts liés à l’exportation.
Pour cette organisation non gouvernementale internationale (ONGI) de protection de l’environnement, si la technologie favorise cette transition, les rapports de force restent inchangés, ce qui risque de reproduire les inégalités et les dépendances historiques associées aux combustibles fossiles.
Dans son nouveau rapport, publié après la COP30, durant laquelle, selon l’ONGI, les gouvernements ne sont pas parvenus à s’entendre sur une feuille de route pour l’élimination progressive des combustibles fossiles, et intitulé «From Energy Security to Sovereignty : pathways for a Just Energy Transition in Egypt, Morocco, and Tunisia» («De la sécurité énergétique à la souveraineté : les voies d’une transition énergétique juste en Égypte, au Maroc et en Tunisie»), Greenpeace MENA indique que si notre pays, l’Égypte et le Maroc ont commencé à mettre en place des projets renouvelables, il n’en reste pas moins que ces changements privilégient les marchés européens et les revenus d’exportation au détriment des besoins locaux, laissant le pouvoir, la technologie et les profits largement hors de la région.
Le rapport indique que, chez nous, les compagnies pétrolières internationales ainsi que les investisseurs dans les énergies fossiles et renouvelables ont façonné et influencé l’orientation prise par le secteur énergétique.
A travers son rapport, Greenpeace MENA veut montrer que l’Afrique du Nord peut répondre à ses besoins énergétiques et atteindre ses objectifs climatiques, mais seulement si la souveraineté énergétique, l’équité et la responsabilité sont au cœur de la transition.
L’organisation explique que son rapport utilise un indice de souveraineté énergétique pour examiner qui contrôle les ressources énergétiques, qui en tire profit et comment les décisions politiques sont limitées, tout en cartographiant les chaînes de valeur des combustibles fossiles, les mix énergétiques actuels et les projets renouvelables à l’échelle des services publics, révélant ainsi que l’Afrique du Nord adopte les nouvelles technologies plus rapidement qu’elle ne modifie les règles régissant la répartition du pouvoir, et que de nombreuses «solutions», comme le captage du carbone ou les projets renouvelables privatisés à grande échelle renforcent la dépendance et ne profitent guère aux communautés locales, d’autant plus que, selon Greenpeace MENA, les projets d’énergie renouvelable soutenus par des investisseurs étrangers et visant à exporter de l’électricité vers l’Europe risquent de créer de nouvelles «zones sacrifiées au nom de l’écologie», où les communautés locales supporteront, une fois de plus, les coûts environnementaux et sociaux tels que le stress hydrique et l’expropriation des terres, sans en retirer de bénéfices équitables.
4,25 sur 10 pour notre pays
Par ce nouvel indice, mesurant, donc, les progrès en matière d’énergies renouvelables, le contrôle des ressources, la justice et l’autonomie politique, l’ONGI a attribué une note de 4,25 sur 10 à notre pays (5,5 au Maroc et 4,5 à l’Égypte).
Greenpeace MENA justifie le score de notre pays par le fait, entre autres, que sa souveraineté énergétique est freinée par une forte dépendance aux énergies fossiles importées (plus de 50% de l’énergie primaire) et une diversification énergétique trop lente. La part des énergies renouvelables reste inférieure à 10%, ce qui rend notre pays vulnérable aux fluctuations des prix, aux coupures de courant et aux crises d’accessibilité. Il en résulte un système énergétique contraint par la dette, une gouvernance fragmentée et des priorités dictées de l’extérieur, où le contrôle national sur les ressources et les politiques demeure limité.
Le rapport rappelle que notre pays, autrefois relativement autosuffisant, importe, désormais, plus de 60% de ses besoins énergétiques, conséquence du déclin de sa production nationale de pétrole et de gaz et d’un secteur des énergies renouvelables sous-développé.
Il indique, également, que la dépendance à l’égard du gaz provenant de TransMed et la conception du réseau sous forme de concessions, associées par la suite à des appels d’offres destinés aux grands promoteurs étrangers, ont accentué cette dépendance malgré un fort potentiel solaire. Le mix énergétique du pays demeure fortement dépendant des énergies fossiles, le gaz représentant plus de 95% de la production d’électricité, dont une grande partie est importée.
Le document de Greenpeace MENA rappelle que le gazoduc TransMed vers l’Italie traverse notre pays, l’État percevant des redevances en nature et achetant des volumes supplémentaires auprès de Sonatrach. Cet accord, combiné à des modèles d’approvisionnement IPP/BOO (Producteur d’énergie indépendant/Construction, propriété et exploitation), conçus autour de centrales à cycle combiné au gaz, a ancré un mix énergétique largement dépendant du gaz, tandis que les énergies renouvelables restent marginales (environ 3% de la production en 2022 selon l’AIE, soit l’Agence internationale de l’énergie).
30% d’énergies renouvelables d’ici 2030
Le rapport ajoute qu’en pratique, le «choix» énergétique de notre pays s’est avéré être une réponse conditionnée par l’historique du tracé des gazoducs et des structures contractuelles, exposant le pays aux conditions d’approvisionnement algériennes et aux fluctuations des prix à l’importation.
Dans la partie du document consacré à notre pays, il est rappelé que ce dernier bénéficie d’un excellent ensoleillement, la plupart des régions intérieures et méridionales recevant entre 2.000 et 2.300 kWh/m2/an, et de vents modérés dans le Nord et le Centre du pays.
Notre gouvernement ambitionne d’exploiter ce potentiel afin d’atteindre 30% d’énergies renouvelables dans la production d’électricité d’ici 2030. Cependant, la part, en 2024, restait inférieure à 5%, témoignant, selon Greenpeace MENA, d’un écart important entre les objectifs et la réalité.
Pour le rapport, le potentiel du photovoltaïque décentralisé reste largement inexploité, notamment pour l’agriculture, la petite industrie et l’électrification rurale. Pourtant, notre pays dispose d’un fort potentiel pour développer l’énergie communautaire, les coopératives solaires et l’emploi local dans le secteur des énergies renouvelables, mais cela nécessite des réformes de gouvernance plus ambitieuses et un accès au financement climatique.
Le document rappelle que la première centrale solaire de grande envergure chez nous, soit Tozeur I (10 MW), financée par la KfW et mise en service en 2019/2020, a vu son extension, Tozeur II (10 MW), inaugurée en mars 2022. La centrale photovoltaïque de Tataouine (10 MW), exploitée par ENI/ETAP (Ente Nazionale Idrocarburi/Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières), est déjà raccordée au réseau.
Il mentionne, également, que, de son côté, TuNur développerait un projet (solaire thermique à concentration et photovoltaïque) d’exportation d’électricité du Sahara vers l’Europe, d’une capacité de plusieurs gigawatts, avec une liaison dédiée vers l’Italie et Malte. Selon le rapport, ce projet, distinct de la concession de Tataouine, est encore en phase de développement et d’obtention des autorisations.
Le rapport mentionne le fait qu’un nombre croissant d’investissements étrangers, notamment en provenance du Golfe et d’Europe, sont destinés à la production d’électricité pour la production d’hydrogène vert ou pour l’exportation directe vers l’Europe, comme en témoignent des projets tels que l’interconnexion d’Elmed avec l’Italie, investissements soulevant des questions cruciales concernant la souveraineté énergétique et les retombées économiques pour notre pays.
Décalage structurel entre ambition et capacité institutionnelle
Le développement de l’énergie éolienne demeure, quant à lui, modeste. Des projets comme Sidi Daoud (54 MW) et Korbous sont opérationnels, mais les nouvelles installations de grande envergure sont restées minimes ces dix dernières années. Le potentiel technique de l’énergie éolienne chez nous, notamment dans les zones côtières et sur les hauts plateaux intérieurs, demeure largement inexploité.
Ce décalage structurel entre ambition et capacité institutionnelle constitue un défi pour notre pays. Le document met en avant le fait que, malgré des progrès notables sur les plans juridique et politique, la mise en œuvre de ces cadres est entravée par la complexité administrative, les obstacles financiers et les capacités techniques limitées aux niveaux local et infranational.
Le rapport souligne, également, l’absence quasi totale de mécanismes de propriété et de partage des bénéfices au niveau communautaire dans la planification nationale (un problème récurrent dans la région, malgré la présence de nombreuses communautés isolées). Si des cadres existent pour les producteurs indépendants d’électricité, ils sont souvent conçus pour les grands acteurs disposant des ressources financières et juridiques nécessaires pour s’orienter dans des circuits réglementaires lents. Ceci renforce les inégalités d’accès aux bénéfices des énergies renouvelables et freine l’adhésion du public à la transition énergétique.
Le rapport met en garde le fait que, même si les projets d’énergies renouvelables créent, généralement, plus d’emplois que les énergies fossiles, il est important d’éviter les chiffres exagérés qui considèrent les emplois temporaires liés à la construction comme permanents et qui présupposent une production locale qui n’existe peut-être pas encore. Selon le rapport, notre stratégie en matière d’hydrogène vert promet des milliers d’emplois sans que l’on sache clairement comment les embauches locales ni les conditions de travail soient prises en compte.
D’autre part, pour Greenpeace MENA, les marchés et compensations carbone, actuellement à l’étude chez nous, risquent de transformer les terres et les écosystèmes en marchandises pour les pollueurs externes (qui continueront à polluer), renforçant ainsi une forme de «colonialisme vert».
Il existe un réel risque d’accaparement des terres pour la création de puits de carbone ou de plantations de monoculture.
Zouhour HARBAOUI
