La réunion de la commission administrative nationale de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui s’est ouverte vendredi au siège de l’organisation à la Place Mohamed Ali, a mis un peu plus à mal la cohésion interne. Alors qu’elle devait s’achever le jour même, les syndicalistes ont préféré jouer les prolongations, suite à une volte-face opérée par neuf membres du Bureau exécutif sur l’avancement de la date du congrès au mois de mars 2026, au prétexte d’un vice de procédure.
Les tenants de cette thèse estiment que le règlement intérieur de l’organisation n’autorise pas la convocation d’un congrès anticipé, qui avait été décidée en septembre dernier par la commission administrative nationale. Ils notent que la démarche correcte consiste à convoquer un congrès extraordinaire non électif, lequel pourrait décider la tenue d’un congrès anticipé.
«Neuf membres du Bureau exécutif appartenant à l’aile conduite par le secrétaire général Noureddine Taboubi ont fait machine arrière en ce qui concerne la tenue du congrès anticipé en mars 2026, indiquant qu’ils avaient accepté cela sous la pression en septembre dernier, et plaidé pour la tenue du congrès dans les délais initiaux, en l’occurrence en 2027», a confié au «Temps» un syndicaliste qui participait à la réunion.
Selon lui, le secrétaire général est cependant resté attaché à la tenue d’un congrès anticipé en mars prochain pour tourner la page des dissensions internes.
En réaction au revirement de la majorité des membres du Bureau exécutif, les autres membres de cette même instance ont annoncé qu’ils ne soutiendront pas la grève générale décrétée vendredi par la commission administrative pour le 21 janvier prochain, au cas où le congrès anticipé se tiendrait en mars 2026. Ce nouveau bras de fer a poussé le secrétaire général de l’UGTT à brandir la menace de la démission et à quitter la salle où se tenait la réunion, avant de la regagner quelques heures plus tard.
Les travaux de la réunion de la commission ont repris dans l’après-midi, mais à l’heure où s’écrivaient ces lignes, chaque partie continuait à camper sur sa position.
En septembre dernier, la commission administrative nationale de l’UGTT a voté à l’unanimité une proposition soumise par le Bureau exécutif et portant sur la tenue du prochain congrès de l’organisation du 25 au 27 mars à Gammarth (banlieue nord de Tunis). Ce vote avait alors apaisé les tensions opposant les membres du Bureau exécutif, dont certains ont réclamé l’avancement de la date du congrès à décembre 2025 pour mettre fin rapidement à la crise de légitimité des hautes instances dirigeantes qui paralyse l’organisation et réduit sa capacité de mobilisation, alors que les autres défendraient le maintien du statu quo. Cette crise de légitimité trouve son origine dans l’amendement de l’article 20 du règlement intérieur, qui a été adopté lors d’un congrès extraordinaire non électif tenu en juillet 2021 à Sousse. L’amendement en question a supprimé la limitation de l’exercice de la responsabilité au sein du Bureau exécutif national à deux mandats, permettant ainsi la réélection de plusieurs membres du Bureau exécutif, dont Noureddine Taboubi, Slaheddine Selmi, Monêm Amira, Sami Tahri, Hfaïedh Hfaïedh, lors du congrès de février 2022.
«L’opposition syndicale» adopte une approche plus radicale
Le différend autour de cet article très controversé a contribué à vider l’organisation de ses éléments les plus combatifs et à réduire sa marge de manœuvre. La crise n’a cependant atteint son paroxysme que lors de la réunion du conseil national de l’UGTT tenue début septembre 2024, lorsque la majorité des membres de cette plus haute instance décisionnelle après le congrès a réclamé la tenue d’un congrès extraordinaire, après avoir constaté que l’amendement de l’article 20 du règlement a conduit à «un affaiblissement sans précédent» de l’organisation. Menés par cinq membres du Bureau exécutif, ces dissidents ont également réclamé l’annulation de l’amendement de l’article 20 qui représente une «entorse aux principes de la démocratie et de l’alternance» ayant caractérisé le fonctionnement de la centrale syndicale depuis sa création en 1946.
Sous la pression des membres du conseil national, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, avait alors demandé publiquement des excuses pour «tripatouillage» des statuts de l’organisation en juillet 2021. Il n’a pas cependant accepté le recours à un vote de la motion interne, dont le 12e point comportait trois propositions relatives à la date du prochain congrès : un congrès extraordinaire en 2025, un congrès anticipé en 2026 et un congrès ordinaire en 2027. Ce refus s’est soldé par le retrait de près de deux-tiers des délégués de la salle où se tenait la réunion, ce qui a obligé le secrétaire général de l’organisation à annoncer la clôture des travaux du conseil national dans un climat délétère. Après plus de huit mois de querelles intestines, les deux ailes rivales du bureau exécutif ont cependant conclu, en mai dernier, un accord à l’arraché sur la tenue du prochain congrès anticipé du 25 au 27mars 2026, soit environ onze mois avant les délais initialement prévus (février 2027).
Les syndicalistes exclus de l’UGTT ces dernières années en raison de leur opposition farouche à l’amendement de l’article 20 ont cependant estimé que la tenue d’un congrès anticipé ne permettrait pas à l’organisation de retrouver sa crédibilité perdue et son mode de fonctionnement démocratique. D’autant plus qu’un tel congrès consacrerait «un recyclage d’éléments putschistes». Réunis au sein d’un collectif baptisé «Le Forum syndical pour l’ancrage de la pratique démocratique et le respect des statuts de l’organisation», cette «opposition syndicale» plaide pour la démission de l’actuel bureau exécutif et la mise en place d’un comité de direction provisoire qui veillerait sur le renouvellement des diverses structures sectorielles, locales et régionales, ainsi que sur «l’assainissement» de l’organisation des éléments sur lesquels pèsent des soupçons de corruption, avant la tenue d’un «congrès de rectification» qui permettrait l’élection démocratique d’une direction militante et intègre.
Walid KHEFIFI
