Les pharmacies privées ont mis, leur menace à exécution en suspendant la délivrance des médicaments selon le système du tiers payant pour les affiliés de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM), laissant ainsi plusieurs centaines de milliers d’assurés sociaux en proie à l’incompréhension et au désarroi.
«C’est toujours la même rengaine en pareille période de l’année. Ce matin, le pharmacien m’a demandé de payer l’intégralité de la facture, car le système du tiers payant a été suspendu à cause d’un malentendu avec la CNAM sur les délais de paiement», fulmine Mohamed Grami devant la porte d’une pharmacie à Ben Arous.
«C’est toujours l’assuré social qui paie la note, et se trouve pris en otage dans le cadre de ce conflit qui perdure depuis des années», a-t-il ajouté, exhibant une facture salée pour des médicaments nécessaires au traitement d’une banale affection respiratoire.
Le système du tiers payant est une modalité de prise en charge des frais de soins selon laquelle le patient ne paie au professionnel de santé qu’une petite part au titre de sa participation aux frais de soins, alors que le reliquat est payé directement par la caisse au professionnel de santé.
Dans le cadre du tiers payant, le pharmacien conventionné avec la CNAM perçoit de l’assuré social 30% du montant global de l’ordonnance et ce, sur la base du prix public des médicaments dispensés. Le reste du montant de l’ordonnance, à la charge de la caisse, fait l’objet d’un décompte adressé au centre de référence (centre régional ou local de la caisse désigné par le pharmacien conventionné), afin que la caisse procède au paiement intégral du pharmacien dans un délai de 14 jours ouvrables à compter de la date de réception du décompte, et ce, par virement bancaire ou postal au compte indiqué dans le dossier d’adhésion.
Le Syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot) a annoncé, dans un communiqué publié le mercredi 3 décembre, qu’il allait suspendre le régime du tiers payant pour protester contre les retards de paiement par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) à partir du lundi 8 décembre, en raison des retards de paiement qui atteignent plusieurs mois.
Le Spot a également indiqué que ces retards ont engendré une grave crise de liquidités au niveau de la plupart des pharmacies, qui se trouvent aujourd’hui incapables de s’approvisionner en médicaments et de fournir des services aux citoyens, notamment dans les régions intérieures et les zones de développement prioritaires.
Des délais de paiement moyens de 150 jours
Dans un communiqué publié hier, le syndicat a précisé qu’une réunion tenue vendredi après-midi et présentée comme une «ultime tentative pour préserver le droit du citoyen aux soins», n’a pas permis de débloquer la situation. Il a aussi affirmé comprendre la «détresse des citoyens», notant que sa décision de suspendre le tiers payant «n’est pas orientée contre les assurés sociaux» et ne vise qu’à «protéger l’ensemble du secteur de la distribution des médicaments d’un effondrement certain et imminent si rien n’est fait pour le sauver».
Notant que le blocage des négociations entre la CNAM et les pharmaciens grossistes-répartiteurs n’a fait qu’empirer davantage la situation, le Syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie a indiqué que les délais de paiement des prestataires de soins par le CNAM dans le cadre du système du tiers payant ont atteint en moyenne 150 jours en 2025, contre 120 jours en 2024 et 60 jours en 2023, alors que les délais contractuels ont été fixés à 14 jours.
«La responsabilité de la crise actuelle n’incombe en aucun cas aux pharmaciens. Cette crise découle directement de l’absence de réformes structurelles des régimes de sécurité sociale», a-t-il relevé.
L’origine du mal est, en effet, à chercher dans les déséquilibres financiers de l’ensemble des régimes de sécurité sociale. La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS), qui souffrent d’un déficit croissant, ne versent souvent pas la part de la CNAM provenant des cotisations des assurés sociaux depuis 2025, puisque les régimes de retraite «siphonnent» la plus grosse part des ressources aux dépens du système d’assurance-maladie. Les dettes de la CNSS et de la CNRPS envers la CNAM ont atteint 8,7 milliards de dinars à fin 2022, selon le dernier rapport du ministère des Finances sur les établissements publics publié en janvier 2024. Et c’est pour cette raison, d’ailleurs, que les prestataires de soins privés et les experts estiment que la réforme du régime national d’assurance-maladie ne pourrait réussir qu’après une réforme audacieuse des régimes de retraite.
Walid KHEFIFI
