Par Mondher AFI
La rencontre du 9 décembre entre le Président Kaïs Saïed et le ministre de l’Intérieur ne relève pas du simple suivi administratif, elle dévoile la fragilité structurelle du lien entre l’État central, les collectivités locales et l’espace vécu par les citoyens. Le fait qu’un service essentiel, éclairage, voirie, raccordement, ne soit rétabli qu’après une intervention présidentielle révèle un dérèglement plus profond : l’État de proximité ne fonctionne plus comme un dispositif autonome, fiable et anticipatif.
Ce constat oblige à repenser la nature même du service public local, à clarifier la responsabilité des acteurs, à revisiter les chaînes de décision et à comprendre les ressorts culturels qui entravent l’émergence d’une citoyenneté active et durable.
L’analyse proposée s’attache ainsi à dégager l’architecture réelle de ces dysfonctionnements, à en mesurer les effets sociaux et symboliques, puis à identifier les conditions d’une refondation opérationnelle basée sur la responsabilité, la lisibilité de l’action, la transparence et l’appropriation collective du bien public. Elle vise à restituer les bases d’un État de proximité capable non seulement de répondre, mais d’anticiper. Un État dont la performance devient la première forme de justice.
L’analyse du fonctionnement de l’État de proximité met en évidence des dysfonctionnements structurels profonds qui limitent l’efficacité des services publics locaux. La dispersion des responsabilités entre l’État central, les gouvernorats et les municipalités crée un vide décisionnel : chaque acteur revendique ses prérogatives sans disposer systématiquement des moyens ni des procédures claires pour agir rapidement et de manière cohérente. Cette fragmentation engendre des zones grises où les initiatives restent paralysées tant qu’un arbitre supérieur n’intervient pas, accentuant la perception d’un État inefficace.
À cela s’ajoute une culture administrative qui privilégie la procédure au détriment des résultats concrets, transformant les étapes bureaucratiques en prétextes pour l’inaction. Les ressources locales limitées, budgets restreints, personnels insuffisamment formés et équipements vétustes, accentuent encore ces difficultés et expliquent pourquoi le recours au sommet de l’État devient souvent la seule solution pour combler les lacunes structurelles. Enfin, l’absence de structures effectives de participation citoyenne, conseils de quartier, plateformes de co-gestion et mécanismes de contrôle, réduit le citoyen à un rôle d’observateur, privant l’administration de la pression positive nécessaire pour maintenir un service de qualité. Les conséquences sont tangibles : dégradation de la qualité de vie, creusement des inégalités territoriales, aggravation des risques sanitaires et des coûts cachés liés à la santé et à la dégradation des ressources naturelles, ainsi qu’une perte de confiance dans les institutions. Dans ce contexte, la vision du Président Kaïs Saïed, exprimée notamment lors de sa rencontre avec le ministre de l’Intérieur le 9 décembre, apparaît pertinente et structurante : en insistant sur la responsabilité directe des édiles locaux et la nécessité de «tordre le cou aux lenteurs administratives» et de «mettre les moyens au service du peuple», le Président pose les fondements d’une gouvernance pragmatique, transparente et centrée sur l’efficacité.
Réformes et instruments de modernisation
Pour briser ce cercle vicieux, la réforme proposée s’appuie sur des principes directeurs cohérents : confier aux échelons locaux des responsabilités assorties de moyens et d’autonomie réels, instituer des mécanismes publics de reddition de comptes et d’audit, garantir la pérennité budgétaire des services et intégrer pleinement citoyens et associations dans la planification, le suivi et l’évaluation des actions urbaines. Sur le plan opérationnel, cela se traduit par l’instauration de contrats de performance territoriale tripartites, précisant objectifs, ressources, indicateurs et calendriers, assortis de clauses incitatives et de sanctions en cas de manquement. La création d’un guichet unique numérique pour signaler et suivre les interventions, avec publication des délais moyens de traitement, renforce la transparence et la responsabilité. Le fonds national d’entretien et de transition écologique municipale constitue un outil stratégique pour financer les opérations récurrentes et les projets de modernisation, en liant les financements à la performance. Par ailleurs, la modernisation des ressources humaines locales, formation aux méthodes de gestion moderne et développement de cursus valorisant les métiers de la propreté et de l’environnement, ainsi que la mise en place de mécanismes de gouvernance participative, incluant conseils de quartier, comités mixtes et budgets participatifs ciblés, assurent l’alignement des compétences, des moyens et de l’engagement citoyen. Cette architecture méthodique et cohérente, soutenue par la vision pragmatique et responsable du Président Kaïs Saïed, crée les conditions d’une gouvernance locale efficace, durable et légitime, capable de répondre aux défis sociaux, environnementaux et institutionnels contemporains.
Intégrer l’environnement dans la logique économique locale
La gestion des déchets peut être repensée comme un véritable levier économique et environnemental à l’échelle locale. En intégrant le tri dès la source, le compostage des déchets organiques, le recyclage des plastiques et des métaux, ainsi que la mise en place de petites unités de valorisation énergétique lorsque cela est pertinent, on crée non seulement des emplois, mais on réduit aussi les coûts liés aux décharges et on diminue la pression exercée sur l’environnement. Cette approche doit être accompagnée par des systèmes de tarification progressifs et socialement équitables pour les services de collecte, combinés à des subventions ciblées pour les ménages vulnérables et à des incitations économiques favorisant les comportements vertueux, comme la réduction des taxes locales pour les quartiers ayant mis en place un tri performant. Parallèlement, il convient de mobiliser le secteur privé pour assurer des services spécialisés, tels que la gestion des centres de tri ou la maintenance de l’éclairage public, tout en maintenant la maîtrise publique des objectifs et en codifiant des clauses strictes de transparence et de performance. Cette combinaison de mesures crée un cercle vertueux où la valorisation des déchets devient un moteur d’efficacité économique, de protection environnementale et d’engagement citoyen.
Gouvernance et citoyenneté écologique
La mise en œuvre d’une réforme durable de la gestion urbaine et environnementale nécessite l’adoption d’outils clairs d’évaluation afin de mesurer l’efficacité des interventions et d’assurer un suivi transparent des actions entreprises. Parmi ces instruments, on peut envisager le pourcentage de couverture quotidienne de collecte des déchets, le délai moyen de traitement d’un signalement, le pourcentage des ménages raccordés à l’assainissement, l’indice de satisfaction citoyenne trimestriel, ainsi que le nombre d’emplois créés dans les filières de valorisation des déchets. La publication régulière de ces indicateurs et leur comparaison entre municipalités permettent non seulement de créer un mécanisme d’émulation positive, mais aussi de renforcer la responsabilisation des acteurs institutionnels et locaux. Cependant, l’efficacité de ces mesures techniques et institutionnelles reste insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une transformation culturelle profonde. Il s’agit de construire une véritable citoyenneté écologique, fondée sur l’éducation environnementale dès le primaire et poursuivie tout au long de la vie adulte, sur des campagnes de sensibilisation continues et adaptées aux réalités locales, ainsi que sur la reconnaissance publique des initiatives exemplaires par des labels ou des récompenses pour les quartiers et municipalités qui se distinguent. Il convient également d’intégrer des rituels civiques, tels que des journées de quartier, des programmes scolaires et des concours de propreté, afin que la pratique de la propreté et du respect de l’environnement cesse d’être perçue comme une contrainte et devienne au contraire un marqueur fort de l’identité collective et de l’engagement citoyen.
La transition vers un nouveau modèle écologique et de gouvernance ne peut ignorer les risques qui accompagnent tout changement structurel. Les réformes heurtent inévitablement des routines administratives bien ancrées et des intérêts institutionnels consolidés ; il est donc indispensable d’anticiper les résistances inhérentes au système à travers des processus consultatifs transparents et en garantissant aux agents concernés des mécanismes justes d’accompagnement, de reclassement et de formation. La question de la soutenabilité financière constitue également un défi majeur : la création d’un fonds spécialisé, la modernisation des équipements et la structuration des filières exigent des ressources initiales importantes. D’où la nécessité d’étaler les investissements dans le temps, d’articuler intelligemment financements nationaux et partenariats internationaux et de cibler en priorité des actions génératrices de bénéfices rapides, notamment en termes de réduction des coûts sanitaires et de création d’emplois verts, afin de consolider l’adhésion sociale. Enfin, il importe de demeurer vigilant face au risque d’instrumentalisation politique de la crise environnementale : les dysfonctionnements du système de gestion des déchets ne doivent jamais devenir un prétexte à la concentration du pouvoir ou à la mise en scène de mesures autoritaires. C’est pourquoi la transparence, l’inclusion des citoyens et le contrôle démocratique doivent accompagner chaque étape du processus de transformation, comme autant de garanties que la réforme serve réellement l’intérêt collectif et la durabilité du bien commun.
Une gestion urbaine digne et durable
L’intervention du Président Kaïs Saïed met en évidence une vérité fondamentale : la dignité quotidienne d’un citoyen se mesure à la qualité des services urbains qui l’entourent, la propreté de sa rue, l’éclairage de sa place et la fonctionnalité des infrastructures publiques. Pourtant, cette exigence morale ne peut se réduire à des paroles, elle nécessite une stratégie cohérente et durable, capable de transformer l’aspiration des citoyens en réalités tangibles. La vision proposée par le Président Saïed repose sur plusieurs axes structurants. Il s’agit d’abord de redéfinir les responsabilités et les compétences entre l’État central, les gouvernorats et les municipalités, tout en dotant ces dernières d’une autonomie administrative et financière réelle. Les outils numériques de transparence et de suivi constituent un levier clé pour assurer une reddition de comptes efficace et renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Parallèlement, la création de fonds dédiés à l’entretien, à la transition écologique et à la modernisation des services municipaux permet de stabiliser les financements et de soutenir des projets concrets, allant de la valorisation économique des déchets au développement des filières environnementales locales. La modernisation des ressources humaines, avec des formations adaptées aux métiers de l’environnement et de la propreté, assure que les équipes locales disposent des compétences nécessaires pour traduire les directives en résultats opérationnels. Enfin, l’implication active des citoyens, à travers des mécanismes de gouvernance participative et de co-construction des projets, garantit que les politiques publiques répondent réellement aux besoins et aux priorités locales.
Si ce processus est mené avec constance et méthode, la crise des services urbains peut devenir un moteur de transformation civique et sociale. Il s’agit de construire une nouvelle alliance entre l’État et la société, où l’efficacité, la durabilité et la dignité deviennent indissociables. La propreté et la qualité de vie urbaines ne seront plus de simples indicateurs techniques, mais les piliers d’un contrat social renouvelé, fondé sur la justice, la participation et la résilience collective.
