Il est des routes qui ne s’effacent jamais. La Ceinture et la Route n’est pas seulement une cartographie économique contemporaine ; elle est une mémoire en mouvement, un fil ancien qui relie les ports, les terres, les cultures et les imaginaires. Dans cet entrelacs d’échanges, la Tunisie — carrefour méditerranéen et africain — retrouve une place naturelle, face à une Chine qui, de Hainan à la Méditerranée, pense le développement comme une circulation des savoirs autant que des marchandises.
À l’extrémité sud de la Chine, l’île de Hainan s’impose aujourd’hui comme un laboratoire ouvert sur le monde. Sa zone de libre-échange, conçue comme un port franc d’envergure internationale, ne se contente pas d’optimiser les flux commerciaux : elle façonne une vision. Une vision où la terre, l’agriculture et la ruralité deviennent des leviers stratégiques, porteurs d’identité et de prospérité durable. Dans cette dynamique, l’agriculture tropicale de haute qualité apparaît comme une industrie charnière. Elle dialogue avec des territoires comme la Tunisie, elle aussi héritière d’un rapport millénaire à la terre, aux saisons, aux cultures vivrières et aux routes commerciales qui ont fait circuler les épices, les fruits, les semences et les récits.
La terre comme projet, la ruralité comme horizon Hainan a fait un choix fort : inscrire son avenir dans la valorisation de ses sols. Aux côtés du tourisme, des technologies de pointe et des services modernes, l’agriculture n’est pas reléguée au rang de vestige rural ; elle est pensée comme un moteur de transformation économique et sociale. La mise en œuvre de politiques ambitieuses de revitalisation rurale a permis de redonner aux communautés agricoles un rôle central. Les terres arables, longtemps perçues comme périphériques, deviennent des espaces de création de valeur, d’innovation et de transmission. Une approche qui résonne profondément avec les enjeux tunisiens, où la question agricole demeure au cœur de la souveraineté économique et culturelle.
À travers un plan d’action structuré sur plusieurs années, Hainan a identifié des filières clés capables de bâtir des chaînes de valeur complètes, de la semence au marché, du producteur au consommateur mondial. Riz, cultures maraîchères d’hiver, aquaculture, café, fruits tropicaux, thé ou canne à sucre composent une mosaïque agricole qui rappelle, par sa diversité, la richesse des terroirs méditerranéens et africains.
Des fruits, des graines et des routes invisibles Il y a, dans cette géographie agricole, quelque chose de presque poétique. Mangue, litchi, ananas, fruit du dragon, melon miel ou durian ne sont pas de simples produits d’exportation : ils sont des ambassadeurs silencieux. Ils portent en eux des climats, des savoir-faire, des gestes ancestraux. Comme autrefois l’olive, le blé ou les agrumes tunisiens voyageaient sur les routes caravanières et maritimes, ces fruits tropicaux s’inscrivent aujourd’hui dans une mondialisation repensée.
La filière semencière de Nanfan, pilier stratégique de Hainan, ouvre également des perspectives de coopération Sud-Sud. La recherche agricole, l’innovation génétique et la résilience climatique deviennent des terrains de dialogue possibles avec la Tunisie, confrontée elle aussi aux défis du changement climatique et de la sécurité alimentaire.
Quand l’économie devient culture
Ce qui distingue l’expérience de Hainan, c’est cette capacité à ne pas dissocier économie et culture. L’agriculture y est pensée comme un récit collectif, un projet de société où le progrès ne se mesure pas uniquement en chiffres, mais en qualité de vie, en transmission intergénérationnelle et en harmonie avec l’environnement.
Dans le sillage de la Ceinture et la Route, ces initiatives prennent une dimension symbolique. Elles rappellent que les échanges ne sont durables que lorsqu’ils respectent les identités locales, les territoires et les hommes qui les façonnent. Pour la Tunisie, engagée dans une quête de nouveaux partenariats équilibrés, l’exemple de Hainan offre matière à réflexion, inspiration et dialogue.
Une route ouverte entre les terres De Hainan à Carthage, de la mer de Chine méridionale à la Méditerranée, une route invisible se dessine. Elle n’est pas faite uniquement de contrats et de ports francs, mais de terres cultivées, de communautés mobilisées et de visions partagées. Dans ce monde en recomposition, où l’agriculture redevient un enjeu stratégique, Hainan rappelle une vérité essentielle : la modernité ne se construit pas contre la terre, mais avec elle. Et c’est peut-être là que la Tunisie et la Chine, chacune à sa manière, se rejoignent — sur cette route ancienne et toujours neuve, où le commerce épouse la culture, et où la terre parle encore aux hommes.
Mona Ben Gamra
