La migration des compétences tunisiennes à l’étranger, essentiellement dans les rangs des ingénieurs et surtout des médecins, est toujours d’actualité. Les dernières mesures prises par l’Etat en faveur des blouses blanches vont-elles atténuer, un tant soit peu, ce fléau qui fait que nos hôpitaux sont de plus en plus désertés par nos médecins ?
Les chiffres sont effrayants et continuent de l’être davantage. On a l’impression que nous ne sommes pas encore conscients des conséquences qui touchent tout le monde et qui s’accentuent de jour en jour.
Ces chiffres concernent le nombre de médecins qui ont choisi de quitter le pays pour aller exercer dans des pays européens, la France et l’Allemagne particulièrement, là où les conditions matérielles sont nettement meilleures en plus de l’infrastructure et la conquête de nouveaux horizons.
Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’il ne s’agit pas de simples généralistes puisqu’un grand nombre de médecins spécialistes ont rejoint, à leur tour, les hôpitaux et les cliniques en Europe. Appelé à énumérer les causes derrière la prolifération du cancer en Tunisie, Mohamed Jemaâ, l’un des éminents chercheurs en oncologie a cité, entre autres, le manque de médecins qualifiés pour mettre la main dans la pâte dans la lutte contre le cancer en Tunisie. C’est que bon nombre de ces médecins ont choisi de s’exiler, ce qui est également le cas pour leurs homologues dans d’autres spécialités.
Peut-on parler d’opportunisme et de manque de patriotisme pour ces médecins formés dans nos facultés de médecine au prix fort et dont le pays ne va pas profiter ? Peut-on les blâmer pour avoir choisi de migrer pour des raisons financières en premier lieu ? Certainement pas, au vu de la situation de ces jeunes médecins.
Pour Nizar Laâdhari, le secrétaire général du Conseil de l’ordre des médecins (CNOM), le problème se pose de manière sérieuse et inquiétante puisqu’il a même appelé les autorités françaises à ne plus recruter de médecins tunisiens car cela peut provoquer, à court terme, une grave crise de santé en Tunisie. Or, il va falloir chercher les véritables causes chez nous et pas dans ces pays qui accueillent, à bras ouverts, ces médecins qui constituent une manne de Dieu puisqu’ils s’installent là-bas pour servir sans avoir coûté un seul euro pour leur formation.
«Il n’est jamais trop tard pour bien faire»
Nizar Laâdhari évoque, également, les conditions de travail dans les hôpitaux tunisiens, l’arrestation de médecins dans le cadre de leur exercice professionnel et les violences qu’ils subissent, ainsi que les obstacles auxquels sont confrontés les jeunes médecins, privés même de prêts bancaires pour lancer leur carrière et ouvrir leurs cabinets.
Certes, ces médecins migrants ont le droit d’améliorer leur situation financière, mais il est évident qu’après cette hémorragie, l’Etat a pris conscience des dangers de ce fléau. De nouvelles mesures ont été prises pour augmenter les salaires et les primes alors que les autorités compétentes font de leur mieux pour assurer de meilleures conditions de travail dans les hôpitaux et, surtout, dans les urgences où les agressions contre les blouses blanches ne se comptent plus.
Pour le volet financier, qui demeure le plus important dans ces nouvelles décisions, l’accord signé il y a environ quatre mois prévoit le paiement de toutes les indemnités de garde et leur revalorisation, le paiement devenant, ainsi, mensuel, l’augmentation de plusieurs primes notamment celle de risque, l’augmentation des salaires à partir de 2026, la révision du processus d’approbation des stages, la revalorisation de la rémunération du service national, ainsi que la prise en charge des frais de formation.
Commentant ces nouvelles mesures, Wajih Dhakhar, le président de l’Association tunisienne des jeunes médecins, a exprimé sa satisfaction par rapport à ce qui vient d’être décidé : «Nous ne pouvons qu’être contents de voir l’Etat bouger, enfin, après un long silence face à des revendications plus que légitimes. Ces augmentations vont sûrement aider les jeunes médecins à améliorer leurs conditions matérielles afin de les retenir dans le système public et surtout de ne plus penser, automatiquement, à quitter le pays à la conquête d’un avenir meilleur en Europe. Certes, cet accord a mis du temps pour voir le jour, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire».
Rendre au métier ses lettres de noblesse
Comme on le constate, l’Etat a fait un effort évident pour satisfaire les revendications, plus que légitimes, des jeunes médecins qui peuvent, à présent, voir l’avenir avec plus d’espoir et d’optimisme, et surtout réfléchir à deux fois avant de décider de partir exercer ailleurs.
D’ailleurs, selon des sources proches de l’Ordre des médecins, les deux derniers mois ont vu le nombre des partants à l’étranger diminuer, ce qui augure une nouvelle vision des choses et une satisfaction de ce qui a été décidé même si d’autres revendications ont été mises, temporairement, en veilleuse.
C’est dire que les choses sont en train de changer dans le bon sens de manière à rassurer une population qui craint de ne plus trouver de médecins dans nos hôpitaux, surtout dans les régions de l’intérieur du pays. Verra-t-on, dès lors, nos médecins reconsidérer, de manière plus évidente, leur position et leurs avis concernant le départ vers l’Europe ?
On l’espère bien, mais il va falloir mettre en exécution, le plus vite possible, toutes ces mesures et redonner au métier de médecin ses lettres de noblesse, aussi bien moralement que matériellement.
Kamel ZAIEM
