Hatem Belhaj, un scénariste qui est quotidiennement bien installé chez tous les Tunisiens à travers «Choufli Hal» et bien d’autres séries ou sitcoms. Dans la présente interview, nous avons cherché à poser des questions différentes pour mieux le connaître et savoir qui il est exactement. Ce fut tout simplement passionnant et intéressant. Entretien.
Propos recueillis par Mourad AYARI
– Pour commencer, qu’est-ce que vous préférez le plus, être l’intervieweur ou l’interviewé ?
– Avec mes gènes journalistiques, l’intervieweur bien sûr. Poser les bonnes questions, rebondir sur des réponses inattendues, se prendre un vent sur une question, c’est-ce que j’appellerais du journalisme vivant. Avant l’invention des réseaux sociaux, les intervieweurs posaient des questions et par moments, il y avait du tac au tac, des «accrochages», des scoops, des révélations… Bref, le temps était donné à l’interviewé pour étaler ses idées ou pour défendre ses positions. Aujourd’hui, dans les podcasts one to one, l’intervieweur parle parfois autant que l’interviewé. Chaque question commence par une préface où l’intervieweur se met en scène plutôt qu’en situation et donne même son propre avis sur la question posée avant la réponse du questionné. Sinon, même le format des interviews se «tiktokise» avec des réponses sans questions, saccadées et avec un montage haletant. C’est l’époque qui change, une époque pressée, stressée et «pitchée» qui préfère l’émotion au résonnement.
– Quand j’ai commencé à préparer les questions, j’ai eu du mal à le faire. Quelles sont les questions devenues un peu répétitives et ennuyeuses ?
– Tout ce qui est en rapport avec «Choufli Hal» est devenu répétitif mais ce n’est pas la faute des journalistes, c’est plutôt l’effet des rediffusions interminables. Je tolère qu’un ou une jeune débutant/te me pose les questions «originelles» sur la genèse de la série et des sources de mon inspiration mais je préfère répondre à des questions aux spectres différents. Ceci dit, la question qui m’ennuie le plus, c’est la fameuse «pourquoi ne nous refais-tu pas un autre Choufli Hal ?» Avec l’âge, j’ai cessé d’expliquer et je m’amuse à répondre avec fantaisie, à user de réponses tellement invraisemblables que ça fait plus sourire que vexer. Ça va de «Netflix a acheté les droits d’une nouvelle saison pour 2030» à «on a tourné une saison mais le monteur a oublié le mot de passe du fichier à on prépare dix saisons avec du deep fake…».
– Qui est Hatem Belhaj ? Disons, ce que les Tunisiens ne savent pas de vous…
– Moi aussi, je ne sais presque rien de moi-même. Je ne dis pas ça par prétention mais je crois profondément que tant qu’on se cherche, on vit. Je suis un grand timide solitaire, même si j’affiche une image contraire. J’ai tout le temps l’esprit tourmenté et je me soigne en extériorisant mes tourments. Je suis en quelque sorte un travailleur du texte. Je passe ma vie à lire et écrire. C’est mieux que de consulter un psy.
– La célébrité, est-ce qu’elle vous a rendu service ou joué de mauvais tours ? Avez-vous, un seul instant, attrapé la grosse tête ?
– Dès mon enfance, j’étais fasciné par les gens célèbres et pour être honnête, je me voyais déjà à la tête de l’affiche, comme disait Aznavour. Ça m’est venu au bon moment, ni trop tôt pour perdre pied, ni trop tard pour ne pas en profiter. Ça a ses avantages d’être célèbre tant que ce n’est pas la source unique de son ego. En plus, j’ai l’avantage de la passion des gens pour mon travail, je n’ai jamais de mauvaises expériences. Au contraire, je suis gâté là où on me reconnaît, mais je garde les pieds sur terre en me disant que ça peut être éphémère. Donc ce n’est pas le plus important dans la vie. Sinon, morphologiquement, j’ai déjà une grosse tête.
– Vous avez touché à tout. Dans quel domaine vous vous sentez le plus à l’aise ? Disons, dans votre élément…
– Je souffre de l’ennui schopenhauerien et je vole des moments de bonheur en créant. Dès que je m’ennuie d’une expérience, je plonge dans une autre. Tant que ça reste de la création, ça me stimule. J’ai un petit faible pour le théâtre pour son côté direct et vivant. Rester en coulisse à écouter la réaction du public est unique. En général, je quitte les choses et les personnes avant de m’en lasser mais surtout, avant qu’on ne se lasse de moi. C’est comme si après avoir fait le tour d’un projet, j’ai vite besoin de m’essayer à autre chose pour ne pas me sentir dans une zone de confort fatale à toute créativité. J’ai, en plus, la conviction que la vie est trop courte pour tout essayer.
– On va procéder par ordre. Je vais vous demander votre avis sur trois modes de communication et d’expression.
-La télévision.
– Le plus populaire des médias. Conçue au début en tant que support publicitaire enrobé de divertissement, la télé est victime de son succès. C’est pour cela qu’on exige d’elle qu’elle réponde aux goûts de chacun, on lui impose le respect de la morale «ambiante», d’éduquer nos enfants, de nous informer et surtout de rester gratuite. La télé s’invite chez les gens aussi, et elle est souvent la seule fenêtre encore ouverte sur le monde inaccessible. Je ne pense pas que la télé soit en voie de disparition, elle deviendra juste différente. Le digital lui imposera de nouveaux codes mais elle restera un générateur de contenu. Quant à la télé publique, elle se doit de rester un relais entre tous les Tunisiens. Elle se doit aussi de connecter les coins les plus reculés avec la vie culturelle, de produire de la fiction locale, de promouvoir notre identité et de s’injecter du sang neuf avec chaque génération.
– Le cinéma.
– Je crois que le cinéma dans le monde a perdu sa fraîcheur et son imaginaire. Les effets spéciaux ne sont plus tellement spéciaux et la technologie a cassé un peu de la magie. Je n’ai plus vu des films tableaux comme «Barry Lyndon» de Kubrick ou des films émotions comme «E.T.» de Spielberg depuis un certain temps. Je vais de moins en moins au cinéma et je n’arrive plus à dénicher de perles rares comme «Usual suspect» ou «Les autres». Le temps et l’espace que je consacrais au cinéma est phagocyté par les séries. Et comme je n’ai pas la patience épisodique, je pratique le binge-watching, ce visionnage boulimique, c’est comme si je regardais un film un peu trop long. Sinon, pour le cinéma tunisien, là aussi, les perles sont trop rares. Mais j’ai eu un très grand coup de cœur pour le film «Jad» de Jamil Najjar. Le problème, c’est qu’on continue de s’acharner à vouloir faire des films d’auteur sans auteurs. Toutefois, il y a une nouvelle génération de vidéastes très doués mais qui sévit plutôt sur Tiktok que dans les salles obscures.
– Le théâtre.
– Le théâtre est un vecteur civilisationnel très important. Il est un outil de transmission de la langue, des mœurs et surtout des idées innovantes et précurseuses. Ce n’est pas par hasard qu’il est né avec la philosophie grecque. Aujourd’hui, il est à l’image de notre époque. Un art consommable, un divertissement qui met notre raisonnement en veilleuse plutôt qu’en alerte. En plus, notre théâtre n’arrive pas à se débarrasser de ses vieilles querelles et ça fracture le public en un clan rigoriste qui se prétend élitiste et donc qui exclut l’autre clan rénovateur – et je n’ai pas employé le mot réformateur-. Résultat, le théâtre perd son identité et une grande part de sa liberté. Il ne faut pas oublier que Molière et Shakespeare étaient fustigés à leur époque pour avoir créé un théâtre populaire accessible à tous les publics. Aujourd’hui, ils sont devenus des classiques. Chez nous, la pièce «Le maréchal» n’est toujours pas un classique.
– Avez-vous, une seule fois, pensé à avoir un rôle dans vos productions ?
– Jamais, car je suis un mauvais comédien. Je l’ai su très tôt avec mon premier rôle dans ma première pièce de théâtre à 17 ans. Depuis, j’ai appris à tracer mes limites et surtout, j’ai appris que chacun doit se concentrer sur son rôle. Mais j’ai fait des caméos pour le fun.
– Actuellement, on vous suit sur les ondes de Diwan FM dans l’émission de Rafik. On a l’impression que vous avez toujours fait de la radio. Qu’en est-il ?
– Eh bien, j’ai toujours aimé faire de la radio. J’ai même fait un casting à RTCI dans les années 90, que j’ai raté à l’époque. Je n’ai jamais baissé les bras et depuis, j’ai essayé de m’améliorer. Avec la montée de l’audiovisuel, dès les années 2000, j’ai petit à petit déserté la presse écrite pour m’adapter à ce changement. J’ai alors commencé à faire de la télé et de la radio. Aujourd’hui, «Rafmag» est un early show où il faut assurer tous les matins pour communiquer une énergie et un état d’esprit léger destinés à des auditeurs qui commencent leur journée. Ce n’est pas facile tous les jours mais heureusement qu’on a une équipe solide. Pour moi, la radio est un terrain d’expression qui me ressemble et qui me procure une motivation et un plaisir indéniables.
– Après votre parcours, il me semble que le rôle de chroniqueur est réducteur pour vous. Est-ce que vous partagez mon avis ?
– Au contraire, c’est un rôle très valorisant et les feedbacks que je reçois me le confirment. Le chroniqueur a un beau rôle. Il commente, interagit, débat, se livre, se fait porte-parole… Bref, il a une marge de liberté que l’animateur n’a pas. A moins d’avoir l’ego plus gros que la confiance et le pragmatisme. Sinon, être chroniqueur n’est pas à prendre avec facilité. Il faut être à jour, être au courant et préparer ses sujets. Le reste est une question de langage, de propos et de charisme vocal.
– Qu’est-ce qu’un bon chroniqueur ?
– Un bon chroniqueur doit rester modeste et à la hauteur de ses connaissances. Ne pas prétendre détenir la vérité et avoir de la continuité dans les idées. On analyse les faits avec des outils comme la logique et l’honnêteté. L’auditeur peut écouter un avis différent du sien tant qu’il est sincère et sans arrière-pensée. Il ne faut jamais prendre ses auditeurs de haut. Ces derniers ont horreur des donneurs de leçons. Enfin, c’est un métier et comme tout métier, il nécessite travail et assiduité.
– Vous avez eu des expériences dans la presse écrite. Pourquoi n’avez-vous pas perduré ?
– Sincèrement, j’estime que je dois tout à la presse écrite, c’était une vraie école pour ce que je fais aujourd’hui. Malheureusement, l’époque a changé, les lecteurs ne sont plus au rendez-vous et je suis tout le temps à la quête, ou la conquête de nouveaux auditoires. J’ai arrêté mes chroniques quotidiennes sur «Le Temps» en janvier 2O11. La révolution m’avait sonné et il me fallait prendre un nouveau train en marche, un train débarrassé de la censure et du contrôle. C’est tout naturellement que j’ai migré vers la radio et la télé avec un nouvel outil, la liberté d’expression.
– Vous êtes père de famille. Comment les membres de votre famille vivent-ils votre notoriété. Je pense surtout à vos enfants…
– J’ai toujours séparé le professionnel du personnel. Des fois, la notoriété leur ôte l’exclusivité du paternel ou leur bouffe leur propre intimité. Mes filles ne s’en sont jamais plaintes. Elles sont fières d’être mes filles et pour moi, c’est le plus important.
– Vous avez écrit «Choufli Hal», mais également plein d’autres séries ou sitcoms tels que «Ken ya Makenech» ou récemment «Salla Salla». Quand on écrit un scénario, quel est le plus grand souci du scénariste ?
– Tout simplement de transporter le téléspectateur vers un univers qu’on a imaginé, qu’on a creusé dans son être et qu’on a créé d’une simple idée. Je ne cherche pas à plaire ou à aller là où je suis attendu. La preuve, les trois titres que vous avez cités dans votre question sont trois genres différents. La sitcom, la fantaisie et la comédie. Trois visions et trois propos différents que je partage avec les téléspectateurs. J’appréhende chaque nouveau projet comme si c’était ma première œuvre. J’ai toujours les mêmes soucis de perfectionnisme, la même peur de me tromper et la même incertitude du résultat. Je crois même que je carbure à ces traumas.
– On vous qualifie d’architecte de l’Humour. Faire rire, ce n’est pas donné à n’importe qui de le faire. Comment arrivez-vous, surtout, à vous renouveler ?
– Le rire est très sérieux comme dirait Bergson et ça, je l’ai appris grâce à Chaplin. J’étais impressionné par la justesse de son travail et surtout sa réponse à un journaliste qui demandait la recette de son succès. Il a dit, le talent c’est juste 5%, le reste, c’est du travail. Donc tous les jours, je fais des mises à jour. Je suis les humoristes, les locaux bien sûr, mais aussi de par le monde, surtout les anglophones et les francophones. Les plateformes sont une bénédiction pour mon travail. Toutefois, je suis assidument l’actu et je m’exerce à développer des propos humoristiques pour chaque info.
– Qui est votre premier lecteur ? Celui qui critique vos scénarios avant les premières prises de vue ?
– J’ai la capacité de me relire de «l’extérieur» mais je teste surtout mes concepts un peu partout, même avec des inconnus. C’est juste important dans la première phase de développement de chaque idée pour élargir le spectre de mes recherches.
– Le syndrome de la feuille blanche, vous connaissez ? L’avez-vous vécu ?
Oui et non. Contrairement à d’autres, ma feuille est souvent blanche car une fois noircie, je passe à la phase d’exécution, plus rigoureuse et plus corvéable. La feuille blanche me stimule. Des fois, quand je cherche un titre ou le nom d’un personnage, je peux passer des jours à me torturer le cerveau. Souvent, j’ai trouvé la bonne piste à quelques heures du deadline. Ce stress me booste et m’excite.
– Pour revenir à ce que vous êtes aujourd’hui, ce ne fut pas facile. Vous auriez pu faire une carrière de militaire. Puis vous avez pensé à la médecine avant de faire du journalisme. Ensuite, vous avez appris à écrire des scénarios. L’humour dans tout cela ?
– L’humour est mon fluide vital. On mesure souvent la civilité humaine par son sens de l’humour. J’ai longtemps cherché ma voie et là où l’on croit connaître l’échec ou la déception, en fait, on apprend. Toutes mes expériences, aussi dures soient-elles ou agréables, m’ont permis de constituer un stock de «guerre» et des matériaux avec lesquels j’ai pu toucher un large public avec mes scenarii. Rien ne vient par hasard et sans labeur. Le succès est rarement accidentel et même quand il l’est parfois, il reste éphémère.
– On a l’impression que vous êtes moins prolifique ces derniers temps. Est-ce seulement une impression ?
– Actuellement, j’explore de nouveaux terrains. Je me consacre à mes activités journalistiques. Par contre, je fais des formations et c’est très gratifiant pour moi de transmettre mon savoir-faire à de jeunes passionnés. Sinon, je suis en pleine navigation dans l’IA et je suis en train de développer un projet autour de ça. Bref, j’essaie de semer l’ennui et la lassitude en touchant à de nouveaux outils. Le résultat sera partagé comme à chaque fois avec les téléspectateurs et sûrement sur d’autres supports.
– Pour un scénariste, y a-t-il un risque d’épuisement, surtout mental ?
– Oui, bien sûr. Il faut surtout garder l’envie et la curiosité. Ce n’est pas facile de garder l’envie avec le doute et c’est pour ça qu’il ne faut jamais s’endormir sur de vieux lauriers ou regretter un passé prolifique. La nature des choses et la logique de la vie font qu’on ne peut pas garder le même impact sur le public toute sa vie. Il faut accepter ce changement et ne pas le vivre comme un déclin. Chacun à sa place, à tout endroit et à tout moment. A nous de la trouver… à chaque endroit et à chaque moment.
– Des flops, vous en avez fait ?
– Sûrement, mais je ne m’en rends pas compte car je passe vite à autre chose. Par contre, j’ai des idées qui n’ont pas eu le succès à leur sortie mais qui, aujourd’hui, fédèrent de nouveau le public. De flops, ils sont redevenus des flows.
– 2025 touche à sa fin. Un regard sur cette année qui s’abrège et vos souhaits pour 2026…
– L’année dernière fut trop courte pour moi. Du coup, je souhaite que l’année prochaine soit plus lente…
– Quand vous écrivez un nouveau scénario, quelles sont vos sources d’inspiration ?
– Généralement, je m’inspire de mon environnement. Je capte ma thématique parfois à partir d’un fait divers ou d’une expérience personnelle. Je butine mon inspiration partout, dans le réel comme dans le virtuel.
– Où et quand écrivez vous vos scénarios ?
– Je n’écris que dans mon bureau. J’ai besoin de mes repères mais surtout, de ma grosse boite à idées. Je commence à écrire tard car le cerveau range ses idées la nuit, et j’aime bien les idées rangées, donc mon esprit est plus productif la nuit.
– Que faites-vous de votre temps libre ?
– Je travaille…
