Baisse de fréquentation hivernale, pression du pouvoir d’achat, concurrence des snacks et des plateformes de livraison, uniformisation des menus : pour Rafik Tlatli, membre de l’Académie nationale de cuisine et conseiller culinaire dans la chaîne des rôtisseurs, la restauration tunisienne traverse moins une crise passagère qu’une recomposition durable. Dans cet entretien, il plaide pour plus de créativité, de formation et une meilleure valorisation du patrimoine culinaire.
Le Temps.news : pourquoi la fréquentation des restaurants est-elle en chute libre ?
Rafik Tlatli : Les Tunisiens boudent les restaurants surtout en hiver en témoigne la fréquentation en baisse.Avec la pluie qui persiste, les restaurants doivent faire face à une nette baisse de fréquentation et de leurs chiffres d’affaires. Par contre, ils sont bien fréquentés en été. Le pouvoir d’achat a aussi un impact. Il y a un moment où le portefeuille ne suit plus. La restauration rapide gagne toujours plus de terrain sur la restauration à table notamment une concurrence de plus en plus forte des snacks, des food trucks ou plateformes de livraison, plus abordables .La restauration ne traverse pas un simple trou d’air.Ce qui se joue aujourd’hui ressemble à une recomposition durable du marché, sous la pression du pouvoir d’achat, de l’évolution des modes de vie et de la concurrence des nouveaux formats alimentaires.Les Tunisiens n’ont pas cessé de manger dehors.Ils mangent ailleurs, autrement, à un autre prix.
La cuisine est un art mais aussi des techniques Estimez-vous que nos restaurateurs innovent dans leurs recettes ?
Vous savez, chaque chef a son style, et c’est justement trouver son style qui est la chose la plus dure pour un cuisinier. Aujourd’hui on peut reconnaître la touche et l’identité de chaque chef en regardant tout simplement le plat, chacun a ses méthodes de cuisson, son dressage et son choix de vaisselle. Si on prend l’exemple d’un menu, le plus important est d’avoir les meilleurs produits de la saison et des goûts simples. L’innovation en cuisine ce n’est pas simplement de revisiter un plat. Il faut être créatif pour proposer une offre culinaire en adéquation avec les goûts des convives. Mais on constate que les menus proposés aux clients sont les mêmes et se rassemblent dans chaque restaurant. C’est de la copie –coller avec souvent une absence totale de la cuisine tunisienne qui d’ailleurs n’est même pas enseignée dans nos écoles hôtelières. Mais la restauration tunisienne a déjà montré sa capacité à se réinventer.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Le produit lui-même est souvent ma première source d’inspiration. J’aime découvrir de nouveaux ingrédients ou redécouvrir des épices qui me rappellent des souvenirs. Ces moments débloquent souvent des idées de recettes. Il est crucial d’attirer non seulement les gourmets à la recherche de saveurs authentiques, mais également les jeunes qui désirent goûter à l’héritage culinaire tunisien.
Le temps passe et vous avez une passion pour la cuisine, les festivals, la télé, quel est votre secret ?
Je ne sais pas s’il y a un secret, mais je crois qu’avant tout il y a la passion pour ce que l’on fait. On exerce des métiers qui ne sont pas toujours simples où l’on fait deux services par jour, où l’on n’a pas le droit d’être mauvais, de ne pas avoir envie ou de dire: on finira demain! Il y a deux performances par jour, deux matchs par jour. C’est la passion de plein de choses et avant tout celle de faire plaisir aux gens. Ma seule hantise est qu’un jour cette passion disparaisse, car si on n’a plus la flamme, après c’est vraiment dur. Mais pour le moment tout va bien ! Avec les années, on acquiert aussi beaucoup de rigueur. Chaque jour, on réalise plusieurs assiettes avec une dizaine de plats différents pour plusieurs clients. Chaque produit que l’on cuit, chaque assiette que l’on dresse, chaque chose doit être la plus parfaite possible. C’est un état d’esprit.
Est-ce que la restauration exige un personnel qualifié ?
Notre restauration souffre d’un manque de personnel qualifié. La cuisine est une affaire de sciences. Cuire un œuf, c’est faire réagir des protéines, la matière durcit, des arômes se créent etc. Pour maîtriser les textures, ça se joue au degré près .Tout cela demande donc une précision et une rigueur scientifique.
Faut-il accélérer la révision du système de classement des restaurants touristiques ?
C’est important de procéder à la révision du système de classement des restaurants touristiques qui a pour objectif de développer de nouveaux concepts de restauration, de valoriser le patrimoine culinaire et d’en faire un levier d’attractivité. Ceci nécessite une consultation nationale visant à identifier les nouvelles exigences du métier et les nouvelles attentes des consommateurs.
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA
