Par Slim BEN YOUSSEF
Il faut considérer ceci : l’agriculture constitue une part décisive de la sécurité nationale. Dans un monde aux routes commerciales démultipliées, la souveraineté commence par la capacité d’un pays à nourrir les siens et à protéger ceux qui rendent cela possible. Cette année, la terre tunisienne a tenu bon. Les longues saisons de sécheresse ont laissé place à une récolte exceptionnelle. Les dattes, le blé, l’huile d’olive. Trinité nourricière. Triptyque de souveraineté. Une richesse plus ancienne que les chiffres et plus durable que les conjonctures.
Ce sursaut agricole est une affirmation de continuité historique et de dignité productive. Ibn Khaldoun nous l’a appris : la solidité d’un État s’enracine dans celles et ceux qui assurent sa subsistance. Chaque récolte en porte la preuve. La richesse nationale naît du travail patient des petits agriculteurs. Une évidence qui vaut loi morale : quand ceux qui travaillent la terre sont privés de la valeur qu’ils produisent, c’est toute la communauté nationale qui se fragilise — Marx l’avait déjà montré. Et Engels rappelait que nous ne dominons pas la nature sans que la nature nous présente l’addition. La souveraineté agricole impose donc la responsabilité, la prévoyance, la mesure.
Les offices jouent ici un rôle central. L’Office de l’huile, l’Office des céréales, l’Office des fourrages. Le renforcement des capacités de stockage progresse, mais reste insuffisant face aux besoins réels et aux rythmes du marché. L’État dispose des instruments juridiques, humains et financiers. Sa mission consiste à les activer pleinement. Dans les secteurs vitaux, l’autorité publique organise, sécurise, trace les lignes d’équilibre. Lorsqu’un pays protège ses circuits d’approvisionnement, il renforce sa tenue et sa durée. Réguler, ici, revient à exercer la souveraineté.
Le marché fourrager en porte le symptôme. Des spéculateurs manipulent les prix et neutralisent l’action régulatrice de l’Office. Le choc se transmet à l’éleveur, puis au cheptel, puis à la production animale tout entière. Relever la richesse animale, protéger les semences, sécuriser les filières stratégiques : agenda prioritaire. La souveraineté se mesure dans ce que l’on garde intègre — les graines, les troupeaux, la terre.
Dans le Sud global — auquel nous appartenons — l’authenticité a le poids du réel. Les produits gardent la couleur de leur terre. Les dattes, le blé, l’huile : nourritures et repères, langage silencieux du pays. La souveraineté se lit dans les gestes — le champ, la récolte, la main qui cultive — et dans l’autorité régulatrice qui veille sur les biens vitaux.
