Présente en Tunisie depuis plusieurs années, la shigellose n’est pas connue du grand public mais n’en est pas moins dangereuse. Transmise par voie féco-orale, il s’agit d’une maladie diarrhéique qui résiste fortement aux antibiotiques. Elle est causée par des bactéries gram négatif du genre Shigella appartenant à la famille des Entérobactéries. Responsables de 5 à 10% des diarrhées dans le monde, ces bactéries ciblent particulièrement l’intestin grêle et provoquent également des vomissements, une fièvre, des douleurs au niveau de l’estomac et une envie constante de déféquer . Les explications du pédiatre Dr Salem Sahli
Le Temps.news : Qu’est –ce que la schigellose ?
Dr Salem Sahli : La shigellose est une maladie diarrhéique exclusivement humaine due à une bactérie : la shigella dont il existe 04 espèces. Elle est très répandue dans les pays aux conditions d’hygiène et de propreté déficientes. Elle appartient au groupe des maladies dites du « péril fécal » à transmission féco-orale au même titre que la fièvre typhoïde, le choléra ou encore l’hépatite A. Ces maladies ont en commun d’être liées aux excréments (caca).
On estime que, chaque année de par le monde, la shigellose est à l’origine d’au moins 80 millions de cas de diarrhée sanglante et de 700 000 décès. En Tunisie, de petites épidémies sont régulièrement rapportées. Ainsi, l’été et l’automne 2022 ont été marqués par l’enregistrement de plusieurs centaines de cas de shigelloses particulièrement chez l’enfant dans plusieurs régions du pays avec une nette concentration à Tunis, Nabeul et Gabès. Une fille de 8 ans est décédée de shigellose le 20/11/2022.
Comment se transmet-elle ?
La shigellose est une maladie très contagieuse. La transmission se fait soit par contact direct de personne à personne, essentiellement par les mains sales, soit de manière indirecte par l’intermédiaire des aliments ou de l’eau contaminée par les selles. C’est dire la fréquence de la maladie là où les conditions d’hygiène sont mauvaises.
Les shigelles sont des bactéries très virulentes et provoquent une infection du tube digestif rien qu’avec quelques dizaines de germes. Les cibles principales sont l’enfant de moins de 5 ans, le vieillard, la femme enceinte et le sujet immunodéprimé. Les manifestations cliniques des shigelles sont liées à l’envahissement et la destruction des cellules intestinales. Il s’ensuit une importante inflammation de la muqueuse accompagnée d’une diarrhée glairo-sanglante. À ce mécanisme invasif s’ajoute pour certaines espèces la sécrétion d’une toxine responsable de la composante hydrique de la diarrhée.
Quels sont les symptômes ?
Dans la forme classique, il s’agit de ce qu’on appelle le syndrome dysentérique qui associe une fièvre à 39-40°C, une altération de l’état général, de violentes douleurs abdominales, des vomissements et une importante diarrhée glairo-sanglante et purulente.
Très souvent, l’examen bactériologique des selles (coproculture) apporte le diagnostic en permettant d’isoler la bactérie. Il existe aussi des tests de diagnostic rapide (5 à 15 mn) pour certaines espèces de schigelles. L’évolution de la forme classique dure en moyenne une semaine. Mais les shigelles sont éliminées dans les selles 1 à 4 semaines après la disparition des symptômes.
Il existe des formes graves qu’on observe surtout en milieu tropical. Les principales complications observées sont le choc septique, les hémorragies et les perforations intestinales, la péritonite et la déshydratation sévère. Ces complications sont le fait des malades immunodéprimés et des enfants de moins de 05 ans porteurs de certaines pathologies.
Les antibiotiques permettent-ils une guérison rapide et sans séquelles ?
Certains antibiotiques sont très efficaces contre la maladie avec des taux de guérison supérieurs à 90%. Le traitement de première intention est la ciprofloxacine administrée par voie orale dans les formes classiques et par voie intraveineuse dans les cas graves. D’autres antibiotiques comme la ceftriaxone et l’azithromycine sont aussi efficaces. Il est à noter cependant que la part des souches résistantes aux antibiotiques est en augmentation. De nouveaux traitements sont à l’étude.
Comment prévenir la shigellose ? Y a-t-il un vaccin ?
La prévention de la maladie est basée sur la lutte contre le péril fécal. Plusieurs études ont montré que les mains sales, l’eau de boisson contaminée, les mauvaises conditions d’assainissement et une hygiène inadéquate aux toilettes favorisent la transmission de la shigellose.
Les interventions destinées à prévenir la transmission de Shigella sont les suivantes : meilleure hygiène des mains, assurance de la qualité de l’eau de boisson, y compris la désinfection de l’eau avant utilisation et le stockage de l’eau dans de bonnes conditions, amélioration des conditions d’assainissement, modification des pratiques d’hygiène aux toilettes pour réduire au maximum le contact entre les mains et les selles.
Il n’existe actuellement aucun vaccin homologué disponible contre les infections à Shigella. Plusieurs vaccins sont en cours d’évaluation à différents stades de développement préclinique et clinique. La mise au point d’un vaccin contre les infections à Shigella représente un objectif crucial pour la santé publique, car il pourrait déboucher sur une immunité de groupe et offrir une défense contre tous les types de diarrhées.
interview conduite par Kamel BOUAOUINA