Par Raouf KHALSI
Etourdi, ébranlé par le tournant du 25 juillet, le parti Ennahdha entend aujourd’hui présenter une image qui rompe avec les avatars d’une décennie qui l’a vu protagoniste de tout ce qui s’est fait de mal pour le pays. Avec un Ghannouchi, dont le seul mouvement des lèvres pouvait infléchir le cours des choses et avec l’oligarchie clientéliste qui le vénérait, l’Etat n’était plus devenu qu’un tigre en papier. L’Etat profond supplantait allègrement les institutions dans un cocktail pour le moins explosif : idéologie, pouvoir et argent !
Pour autant, Ennahdha détournait aussi la diplomatie tunisienne de ses repères de toujours : sujétion à la vision qatarie de l’islam politique dans un univers fait de lobbying depuis Washington jusqu’aux pays arabes croyant en un printemps brumeux (l’autre supercherie du Printemps arabe), en passant par Paris (Sarkozy et sa myopie politique).
Au lendemain de la chute de Ben Ali, Ennahdha réussissait un casting diabolique dans la distribution des rôles entre Exécutif et Législatif et, lui, en habile marionnettiste, manipulant l’un comme l’autre et jouant sur les fantasmes de ceux qui en avaient la présidence formelle. Au sein de l’hémicycle, Mustapha Ben Jaafar croyait en une ère basée sur les réquisits des droits de l’Homme. Mais il lui en laissait l’illusion dans un parlement bondé de Nahdhaouis. Le grand coup du style pygmalion aura été réservé au président provisoire, un Moncef Marzouki qui se mettait dans la psychologie d’un Trotski et qui croyait donc en la « révolution permanente ». Tant et si mal que, croyant le printemps arabe définitivement installé en Egypte et en Libye, il fermait les yeux sur le départ de six mille djihadistes tunisiens partis grossir les rangs de Daech en Syrie et en Irak. Il poussait l’outrecuidance jusqu’à organiser un sommet intitulé : « Les amis de la Syrie » sur fond de déligitimisation de Bashar Al Assad , jouant le jeu d’Ennahdha et des prétendues démocraties occidentales.
Dans l’ivresse de la puissance, le parti Ennahdha s’accaparait tous les leviers de l’Etat, l’administration avec des recrutements massifs et tenait en mains toutes les entreprises publiques qu’il a saignées à blanc. Montplaisir s’érigeait en « Kebla » incontournable pour les hommes d’affaires qui n’en finissaient pas de consentir des dîmes pour garantir leur survie.
Le plus curieux dans tout cela, c’est qu’Ennahdha ne voyait pas sa popularité s’éroder et, plus curieux encore, une fois installé au perchoir de l’ARP, Rached Ghannouchi déclarait sans fards : « à travers vous (NDLR les députés) me voilà le président de tous les Tunisiens). Erreur stratégique : parce qu’à Carthage Kais Saied avait raflé plus de 70% de voix à la présidentielle. Et, sur cette controverse de président de la République et de « président de tous les Tunisiens », Kais Saied avait bien placardé Ghannouchi lors d’une entrevue à Carthage.
Maintenant, presque toute l’oligarchie nahdhaouie doit répondre de ses actes, entre autres les assassinats politiques, devant la justice. Sans doute, n’a-t-elle pas pris Kais Saied au sérieux, ni ses avertissements quant aux « missiles » constitutionnels qu’il était prêt à larguer. Parce que, durant ces mois ayant précédé le 25 juillet, Ennahdha avait encore joué au noyautage de Saied de l’intérieur. D’abord, campagne d’intimidation (Bhiri a été bruyant à ce niveau) d’Elyès Fakhfakh qui a aussitôt présenté la démission de son gouvernement. Ensuite, le fameux « coussin » rembourré d’épines de Hichem Mechichi qui a carrément tourné le dos à son bienfaiteur.
Depuis la clandestinité sous les régimes de Bourguiba puis Ben Ali, jusqu’au pouvoir durant une décennie d’enfer pour le pays,jusqu’à l’actuelle déchéance, Ennahdha a toujours fait volte-face (selon les circonstances) et maintenant, il fait amende honorable. Ajmi Lourimi parle d’une éventuelle nouvelle appellation, d’un relookage du Conseil de la choura, d’une nouvelle idéologie centrée sur la civilité du parti ce qui reviendrait à la renonciation de la composante islamiste. Or, chaque fois que le vent tourne, Ennahdha a pris pour habitude de faire profil bas. On l’a vu avec la Taqya après la victoire de Beji Caid Essebsi-il a fini par se retourner contre lui- et, maintenant, ce nouveau package dont parle Ajmi Lourimi, on ne pourra pas dire qu’à l’intérieur il n’y aura que des fleurs. Sans sa composante islamiste, Ennahdha dépérit. En s’accrochant encore à cette composante, il dépérit aussi.