Cela fait un bon moment qu’on parle de réformer l’article 411 du code de commerce, relatif à l’émission de chèques sans provision. Mais on ne voit rien venir, bien que cette question ait été plusieurs fois discutée devant le Parlement, et des experts ainsi que des parties prenantes ont été auditionnés et ont fait part à l’hémicycle de leurs opinions à ce sujet, optant pour la plupart pour la dépénalisation. Toutefois, c’est une équation difficile à résoudre, consistant à préserver d’une part les droits des créanciers et permettre au débiteur de régulariser sa situation afin de reprendre normalement ses activités. Pour cela il est important de responsabiliser toutes les parties prenantes. C’est là qu’est le hic car, dans le contexte économique actuel et avec le nombre d’escroqueries et de malversations, il est difficile de dépénaliser l’émission de chèque sans provision, sans léser les bénéficiaires.
La menace de sanctions pénales joue un rôle dissuasif important et contribue à prévenir les comportements répréhensibles. Des sanctions pénales peuvent être considérées comme une protection des créanciers, car elles offrent un moyen de recours lorsque des chèques sans provision sont émis délibérément pour éviter le paiement de dettes. Toutefois et face à l’utilisation du chèque dans la cavalerie et les voies tortueuses, dénaturant le chèque de sa fonction première en tant que moyen de paiement, on est obligé de reconsidérer tout le système. Le chèque n’a pas à être un instrument de crédit, car cela ouvre la voie à toutes les escroqueries possibles et imaginables et bien souvent c’est surtout le chèque de garantie qui devient chèque sans provision.
Y-a-t-il des pressions derrière le retard du projet à voir le jour ?
C’est ce qui explique le retard mis par le ministère de la justice à présenter le projet de loi tant attendu à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Plusieurs fois auditionnée au sein de l’hémicycle, la ministre Leila Jaffel a presque donné les mêmes réponses en affirmant que le projet est au point, mais sans préciser ni la date de sa présentation au Parlement ni les raisons de ce retard mis à sa présentation. Ce qui amène certains à affirmer que la cause profonde du retard est dans les pressions qu’elle subit notamment par des lobbies financiers afin d’entraver l’amendement de l’article 411 du code de commerce. En réaction à cette rumeur, elle a déclaré mardi dernier devant la plénière de l’ARP, « qu’il n’y aucun lobby financier ou autre qui exerce sur nous des pressions ». En se demandant avec étonnement d’où venait cette rumeur elle a ajouté « nous n’avons pas peur et chacun doit mourir à l’heure que Dieu aurait décidée, si nous avions peur nous aurions eu peur concernant d’autres sujets ». En fait s’il n’y a pas de pressions directes, l’exécutif peut être influencé pour faire paraître un projet ou une réforme de loi par divers facteurs. Il y a d’abord l’opinion publique qui peut exercer une pression significative. Le gouvernement est censé être attentif aux attentes et aux préoccupations des citoyens, surtout lorsque des enjeux sociaux sensibles sont en jeu, comme c’est le cas en l’occurrence. Il y a aussi les institutions financières qui peuvent intervenir pour émettre leurs avis. Les entreprises peuvent influencer les décisions gouvernementales en fonction de leurs intérêts économiques et de leurs besoins. Par ailleurs, les organisations de défense des droits de l’homme et d’autres ONG peuvent intervenir par leurs opinions pour qu’il adopte des réformes conformes aux normes internationales. Les influences de diverses parties peuvent encourager ou dissuader la mise en œuvre d’une réforme spécifique. La manière dont l’exécutif gère ces interventions dépend souvent de divers facteurs, tels que les valeurs, les priorités politiques et les engagements de l’Etat.
Dépénalisation ou pas ?
Dans le cas de l’espèce, les avis sont partagés. Il y a ceux qui déplorent que des jeunes sont en trains de purger des peines de prison en application de l’article 411 du code de commerce, alors que d’autres par crainte d’être incarcérés, ont quitté le pays et restent en fuite à l’étranger dans des conditions précaires pour la plupart. D’autres au contraire se plaignent d’être lésés suite aux paiements de chèques en bois, qu’ils n’arrivent pas à recouvrer. Certains chefs de petites et moyennes entreprises se sont trouvés dans l’obligation de mettre la clé sous le paillasson à cause de ceux qui les règlent par des chèques sans provision. Que faire alors ? Comment concilier ces deux situations, qui sont aussi préoccupantes l’une que l’autre ? Le fait de dépénaliser l’émission de chèques sans provision ne suffit pas à lui seul pour résoudre tous ces problèmes. C’est tout le système financier et bancaire qu’il faut reconsidérer.
Restaurer la confiance chez toutes les parties prenantes
S’il n’y a pas de pressions directes comme l’a affirmé la ministre de la justice, il y a infailliblement des impondérables qui obligent à tenir compte en priorité de l’intérêt du citoyen. Une mission qui n’est pas facile, l’intérêt du citoyen est aussi bien du côté des créanciers que du côté de ceux qui sont incarcérés pour un délit qui est tributaire de toute une conjoncture sociale et économique dont il faut absolument tenir compte afin de ménager la chèvre et le chou. Il est important de noter que les pressions peuvent être à la fois positives et négatives, c’est-à-dire qu’elles peuvent encourager ou dissuader la mise en œuvre d’une réforme spécifique. Si la ministre affirme que le projet est fin prêt, c’est qu’il a été tenu compte de tous ces facteurs afin de ne léser aucun et d’avoir une loi de nature à mettre fin à tous les problèmes qui découlent de l’émission du chèque dans provision qui a nui à l’économie du pays et a altéré la confiance qui était le meilleur atout dans les transactions commerciales.
Ahmed NEMLAGHI