Le choix de ne pas avoir d’enfants ou d’en avoir qu’un seul semble se répandre aujourd’hui parmi les jeunes couples tunisiens. En effet, l’indice de fécondité recule graduellement : le nombre d’enfants par femme est passé de près de six dans les années 1960 à 3,4 en 1990 puis à deux en 1999. Cela se comprend eu égard au fameux programme du planning familial sous le régime de Bourguiba. Plus tard, on commençait à ressentir que le nombre de naissances se rétrécit davantage, serait-ce à cause des contextes socio-économiques qui ont marqué la vie des Tunisiens durant ces dernières décennies ? Résultat : le taux de natalité est de 13,6 pour mille en 2021, selon une étude fournie par l’Institut National de Statistiques et mise à jour en novembre 2023.
En fait, selon certains démographes, à ce rythme, nous allons droit vers le vieillissement de la population. Or, la Tunisie avait une population jeune durant plusieurs décennies après l‘indépendance et jusqu’au 2015 avec 25% de sa population ayant l’âge de 15 à 29 ans, présentant ainsi un taux élevé́ de jeunes et d’adolescents. Avec la baisse des naissances enregistrées ces toutes dernières années, nous assistons à un recul démographique qui peut s’explique par le contexte socio-économique difficile, principal facteur du choix des nouveaux couples d’avoir moins d’enfants que leurs parents.
Un enfant, c’est suffisant ; deux, c’est déjà trop ; trois c’est le comble !
De nos jours, les jeunes mariés ont de plus en plus tendance à observer une période plus ou moins longue entre le mariage et la première grossesse. Cette période s’étend parfois jusqu’à trois ou quatre ans, histoire de reporter l’enfantement à une date éloignée pour pouvoir jouir d’une certaine liberté au sein du couple, sachant que l’arrivée d’un bébé pourrait tout chambarder. Même si certains couples souhaitent avoir deux ou trois enfants dès les premières années du mariage, ils se ravisent juste après l’arrivée du premier-né, suite aux bouleversements que cet enfant provoque non seulement dans le train de vie du couple, mais aussi et surtout au niveau du budget familial qui se retrouve affecté par les nouvelles dépenses portées par le nouveau-né dont les besoins deviennent nombreux au fur et à mesure qu’il grandit. La grande majorité des jeunes préfèrent la famille restreinte à deux ou trois enfants, quand bien même chez certaines familles, le troisième serait de trop !
Jadis, les Tunisiens faisaient beaucoup d’enfants et les naissances n’étaient pas contrôlées. C’est à partir des années 60, avec le programme du Planning Familial, que les gens commençaient à réduire leurs naissances, grâce aux moyens de contraception mis gratuitement à leur disposition. Peu à peu, le choix d’avoir une famille restreinte s’est ancré dans les mentalités et les traditions des Tunisiens, si bien qu’aujourd’hui, le nombre moyen d’enfants souhaité dans la famille tunisienne est de 2.7, c’est-à-dire entre deux et trois enfants. C’est dire que pour les jeunes couples d’aujourd’hui, le fait d’avoir le minimum d’enfants n’est pas seulement un choix mais aussi une responsabilité, souvent très lourde et difficile à assumer. C’est que les enfants coûtent de plus en plus cher chez nous même si la tradition familiale accorde encore une grande importance à l’enfantement pour le rôle qu’il joue dans le prolongement de la race humaine et la conservation du nom de la famille. Selon les psychologues, c’est un narcissisme commun à tous les êtres humains que de faire des enfants : les parents pensent d’abord à leur vieillesse, ils ont besoin de la présence et des soins de leurs enfants une fois devenus vieux. Il y a également la pression sociale qui fait qu’un couple sans enfant est mal vu par l’entourage et peut prêter le flanc à toutes les médisances.
Conditions de vie difficiles et allocation familiale insuffisante
Loin de toutes ces considérations psychologiques, les couples d’aujourd’hui semblent être peu enclins à la famille nombreuse pour des raisons plutôt économiques ; leur choix est surtout dicté par des conditions de vie de plus en plus difficiles et qui appellent la plus grande prudence quant au choix du nombre d’enfants à faire ! Tout cela pour dire qu’envisager de faire un enfant n’est pas une décision à prendre à la légère par les jeunes couples d’aujourd’hui, encore moins s’il s’agit d’un deuxième ou d’un troisième enfant !
Moncef, un père de trois enfants, nous a donné son point de vue sur cette question : « La nature qui pousse le couple à désirer un enfant ou des enfants au monde est toujours plus forte que le bon sens. Parfois, on subit les conséquences de son choix ; on regrette d’avoir le second enfant ; mais on oublie aussitôt et on continue. Mais, je peux vous dire qu’aujourd’hui, vu la conjoncture économique actuelle, un enfant suffirait. Si c’était à refaire, je ne ferais qu’un seul enfant ! Depuis la naissance de mon premier fils jusqu’au dernier, j’ai remarqué que le prix de tous les produits relatifs à l’allaitement artificiel et à l’alimentation du bébé ont flambé d’une façon vertigineuse ; alors que l’allocation familiale accordée par l’Etat est insignifiante, sans compter toutes les dépenses nécessaires en période de grossesse et lors de l’accouchement ! » A l’inverse, Fethi, marié et sans enfants, nous a confié : « Etant donné les contraintes sociales, économiques et professionnelles subies actuellement par le couple, il est rare de voir dans l’avenir proche un couple ayant plus de deux enfants, et peut-être qu’un seul suffise ! Ce n’est pas comme avant ; aujourd’hui, tout est relié aux moyens matériels ; c’est le revenu familial qui détermine le nombre d’enfants, car la vie est chère ! Aujourd’hui, un enfant peut rester chez ses parents jusqu’à l’âge de 30 ou 35 ans, le temps qu’il termine ses études et les années qu’il passe à chercher du boulot ! Imaginez combien ça coûte 35 ans de nourriture, de soins, d’habillement, d’éducation, de loisirs, et d’argent de poche ! C’est un budget énorme qui sera gonflé davantage si l’on a deux ou trois enfants à sa charge ! » Quant à Kamel, enseignant et père d’un fils unique, il s’est exprimé à ce sujet en ces termes : « Il est vrai que les enfants constituent la source de joie et de gaîté dans la famille ; c’est merveilleux d’entendre rire son enfant, de le voir couché, assis, puis debout, faire ses premiers pas, puis courir… Mais de nos jours, les enfants coûtent cher ! Dès sa naissance et même avant, l’enfant a beaucoup de besoins vitaux qu’il faut satisfaire, des besoins qui augmentent au fur et à mesure qu’il grandit, et avec la cherté de la vie, ça devient trop dur. A part cela, l’enfant demande beaucoup de soins et de sacrifices de la part des parents, chose parfois très difficile à assumer quand le couple travaille ! Les crèches ? C’est cher et ce n’est pas toujours un lieu fiable et rassurant pour les parents ! »
Ces trois témoignages reposent sur le fait que l’avenir du monde est menacé et que les générations futures auront à affronter des crises plus graves que celles d’aujourd’hui. On avance comme arguments la situation économique mondiale qui empire, les catastrophes météorologiques qui se succèdent, la rareté de l’eau dans le monde qui va engendrer des guerres, le chômage, l’individualisme … Voilà pourquoi pour les jeunes couples d’aujourd’hui il ne suffit pas d’avoir un enfant, mais il faut qu’il soit en bonne santé, bien nourri, bien vêtu et bien instruits ; c’est donc un nouveau comportement qu’affichent les jeunes couples en matière d’enfantement : la limitation des naissances.
Hechmi KHALLADI