La Tunisie croule sous les dettes et fait dernièrement son entrée au top 10 des pays les plus endettés d’Afrique. Dans son dernier rapport, la fondation Heinrich Böll Stiftung a élaboré une cartographie de la dette publique extérieure tunisienne. Mohamed Haddad, l’auteur du rapport parle de plus de 10 années de mauvaise gestion de la dette publique. Le ratio de l’encours de la dette par rapport au PIB, est passé de 57,4 % à près de 90 % durant cette période de 35 ans. Les échéances de remboursement se rapprochent et se succèdent mettant à mal les finances publiques.
L’encours de la dette brute tunisienne a atteint en 2019 la barre de 180,771 MDT dont 113, 3 MDT de dette intérieure. L’encours total de la dette publique atteindrait 92.69% du PIB en 2021.
La France et l’Arabie Saoudite, les premiers créanciers
L’encours de la dette tunisienne est de 110 milliards TND. Moins des trois quarts sont de la dette extérieure soit 77 millions TND. La moitié de nos créanciers sont des institutions financières internationales (FMI, BM, Arab MF, BAD, etc.) ou rattachées à des pays partenaires (AFD, KFW, etc.).
Sur le plan bilatéral, la France et l’Arabie Saoudite sont respectivement les deux premiers créanciers de la Tunisie, avec des enveloppes respectives de 2596,2 MDT et 2030 MDT en 2019.
« Cette cartographie nous a permis de démontrer la vitesse vertigineuse de l’endettement, particulièrement après le 14 janvier 2011, et son effet contreproductif sur les comptes publics et l’économie nationale. La Tunisie se retrouve embourbée dans ce que la littérature a appelé « debt trap » ou le piège de la dette. Cette situation se traduit par des dettes de plus en plus volumineuses, des échéances de remboursement de plus en plus rapprochées, une situation qui pourrait atteindre le point de rupture. Or, le scénario du pire ne semble pas être envisagé par les autorités politiques ou les différentes institutions publiques qui semblent naviguer à vue. Le manque de stratégie a été au moins un facteur si ce n’est la principale cause de cette situation. La seule injonction qui prime pour les autorités est de faire face aux problèmes à court terme : des échéances de remboursement, mais aussi des mobilisations sociales, des crises sanitaires ou naturelles voire politiques, etc. », souligne le rapport.
Colère grandissante des couches les plus défavorisées
L’auteur a épinglé les politiques publiques poursuivies au cours de cette dernière décennie. Des politiques qui n’ont fait que creuser les inégalités. « Dans ce clair-obscur des politiques publiques, les lois de finances peuvent être considérées comme les boussoles et le miroir des priorités. Sur les dix dernières années, avec ou sans menace terroriste, le budget du ministère de l’ Intérieur s’est accru sensiblement. Beaucoup plus que le budget alloué à l’action sociale, à la santé, au transport public ou à l’éducation. Les conséquences de cette démarche sont une colère grandissante des couches les plus défavorisées qui ont besoin de la collectivité alors que l’État ne leur offre que de plus en plus de répression. Là où l’État social se retire, c’est l’État sécuritaire qui prend le relais », ajoute la même source.
Non à l’austérité
Le rapport met en garde contre la poursuite d’une politique d’austérité. L’auteur recommande de penser une stratégie nationale de l’action publique. « Sans cela tout le reste est gaspillage de temps, d’argent ou d’énergie. Il ne s’agit pas de prévoir des indicateurs économiques à atteindre en fin d’année, mais plutôt d’un contrat social ». Il appelle à éviter les prêts à taux élevés tout en prenant garde des prêts concessionnels aux conditionnalités contreproductives et contraignantes et à effectuer un plaidoyer auprès des créanciers bilatéraux, puis multilatéraux pour améliorer la qualité de l’endettement et son impact sur l’économie à commencer par l’Union européenne. La Tunisie devrait négocier plus temps et moins d’argent, c’est à dire, demander des « années blanches » à ses créanciers afin de penser, concevoir et mettre en place sa stratégie d’émancipation et de maturation de son économie.
Yosr GUEREFEL AKKARI