Dans le contexte actuel de pandémie qui perdure malgré les efforts déployés partout accentué par la violence inouïe qui vient de bouleverser la Tunisie et le milieu scolaire, un sentiment de tristesse doublée de colère me range. Je suis triste et inquiète pour le présent et l’avenir de l’enseignant et encore plus pour le pauvre élève. Il doit être vraiment en détresse absolue pour décider de commettre cet acte abominable à l’encontre de celui qui est supposé l’orienter et lui ouvrir les portes du possible. Les deux, enseignant et élève, sont, à mon sens, victimes d’un système broyeur désuet et inhumain.
Le climat d’insécurité sociale, économique, politique et sanitaire enfin accru par une impunité jamais vue endurés depuis une décennie, ajouté à un discours politique haineux, à une présence massive de scènes de violence inouïes sur les chaines télé et les réseaux sociaux, à commencer par les espaces mêmes supposés montrer l’exemple, a laissé se développer progressivement au sein des familles, de l’école, de la société une extrême anxiété qui s’est traduite par autant de réactions et d’actes violents qui n’ont épargné personne. Il suffit de voir le taux de violence à l’égard des femmes depuis la Révolution pour en avoir la preuve. La Covid 19 n’a fait que lever le voile, en réalité, sur les limites d’une politique et d’un système qui bat de l’aile depuis belle lurette.
Tous ces éléments servent d’ingrédients pour former des individus-bombes à retardement, des suicidaires et des réfugiés. Car le sentiment d’insécurité face à l’inconnu et au danger potentiel de mort met indubitablement à rude épreuve la santé mentale des élèves autant que celle des parents surtout quand aucune prise en charge psychologique engagée.
Et c’est l’école, premier cercle social, qui en subit spontanément les conséquences désastreuses. Or l’école d’aujourd’hui en Tunisie ne semble pas préparée à ce genre de bouleversement. D’ailleurs, ses limites ont été enregistrées depuis bien longtemps notamment avec un budget dérisoire qui ne permet pas de se hisser au niveau des écoles de nos voisins immédiats et encore moins de ceux de l’Europe. L’école comme ascenseur social relève aujourd’hui de l’histoire ancienne et l’éducation ne remplit plus son rôle de vecteur de développement ni de cohésion et encore moins d’égalité sociale. Bref, l’élève qui est la raison d’être de tout le système n’occupe plus le centre d’intérêt et sa psychologie vient en dernier lieu après la ruée vers les notes et les études privées. De surcroit, l’arrivée de l’islam politique au pouvoir n’a fait que gangrener de l’intérieur un pays en quête de modernité et le précipiter dans des méandres identitaires et dans un gouffre de médiocratie, d’incompétence, d’opportunisme et de violence de tout bord. Rappelons-nous l’école de Regueb. Rappelons-nous toute cette mafia, économique et politique qui bénéficie d’une immunité nationale et internationale. Rappelons-nous le manque criant d’investissement dans le secteur de l’éducation, le manque de stratégie, le manque de vision et le manque de valeurs communes enfin. Qu’avons-nous fait pour les enfants déscolarisés, qu’avons-nous proposé pour réduire le taux de décrochage scolaire, plus fréquent en milieu rural notamment, chez les filles, en particulier, et les enfants issus de milieux défavorisés, Rien. D’ailleurs, encore aujourd’hui, dans ces milieux, en cas de difficultés financières, les parents sacrifient spontanément la scolarisation des filles au profit des garçons.
Les problèmes d’accessibilité des écoles ajoutés au déficit de qualité de l’éducation en raison des méthodes d’enseignement et des programmes pédagogiques souvent inappropriés, pour ne pas dire dépassés par le temps, en plus du matériel académique désuet et insuffisant, des outils d’évaluation de faible qualité et du nombre insuffisant d’enseignants qualifiés. Aujourd’hui encore, des élèves n’ont pas les moyens d’accéder à l’école, ou s’ils y sont, ils ne sont nullement en sécurité car à tout moment le ciel peut leur tomber sur la tête. Au même moment, la télé et les réseaux sociaux, ces fenêtres grandes ouvertes sur le monde, nous montre une enfance enchantée, valorisée et épanouie alors que nous avons, malheureusement, aujourd’hui une école et une éducation à deux vitesses, ce qui contribue énormément à augmenter davantage les inégalités sociales. On parle plus de l’école pour tous, mais d’une école de riche et une autre pour les pauvres. Et ce sont les écoles étrangères qui en profitent pour faire de la chasse aux compétences un véritable néocolonialisme éducatif ayant pour effet à long terme de miner de l’intérieur l’identité des enfants.
L’accès pour tous à une éducation digne du 21ème siècle conforme aux normes internationales est ce qui nous manque affreusement. L’élève ne doit pas être pensé comme un produit, mais comme un vrai partenaire et un futur citoyen. Au lieu donc d’en faire un bouc-émissaire, appelons à une conversation calme et constructive, luttons ensemble contre la pauvreté des apprentissages, faisons de l’espace scolaire un lieu d’épanouissement, de découverte, de joie, bref de vie. Repensons l’école pour repenser notre société et notre avenir.
Halima Ouanada
Enseignante universitaire