Le Forum national pour le développement de la chasse, tenu récemment, s’inscrit dans le cadre du programme de travail conjoint entre la Fédération nationale des associations de chasseurs et des associations spécialisées en chasse et la Direction générale des forêts, visant à étudier la situation et les perspectives du secteur pour le promouvoir par la mise à jour des lois qui le régissent. L’occasion de traiter plusieurs problématiques inhérentes au domaine de la chasse en Tunisie. Décryptage avec Karim Toumi, secrétaire général de la Fédération nationale des associations de chasseurs.
Le Temps.news : Quel est l’objectif du Forum national pour le développement de la chasse ?
Karim Toumi : Ce forum se tient en droite ligne des conférences d’évaluation scientifiques tenues par la Fédération dont celle ayant pour thème : « La chasse en Tunisie, réalité et perspectives », laquelle a conclu à l’existence d’une crise dans le secteur englobant les axes suivants : le gibier, le chasseur et le territoire. Pour répondre aux problématiques soulevées par les chasseurs avant ce forum, nous avons réuni les parties prenantes en commissions techniques afin d’étudier le traitement qui pourra être apporté à travers une réforme du cadre juridique à savoir le code des Forêts et les textes d’application, la loi n°1969-33 relative à l’importation des armes, leur commercialisation, leur port et leur détention et les textes d’application ainsi que les statuts des structures des chasseurs.
La Tunisie compte plus de 16 000 chasseurs. A quelles problématiques sont-ils confrontés ?
Avec le changement climatique, plusieurs espèces naturelles ne peuvent pas supporter la chaleur, comme celle de juillet 2023, ce qui en a causé la mort en l’absence de points d’eau très rares dans nos forêts et montagnes. Le braconnage à son tour est responsable de la détérioration de la faune et ajoute une pression supplémentaire sur les espèces durant leur période de reproduction. La pression urbaine et la destruction des habitats, ainsi que l’utilisation intensive des pesticides pour l’agriculture constituent des facteurs aggravants.
Alors que la perte de biodiversité menace l’équilibre écologique de notre planète, les chasseurs agissent en tant que défenseurs de la flore mais aussi de la faune. Leur engagement dans la protection de l’environnement est un aspect souvent méconnu de leur activité mais pourtant crucial dans la lutte contre le déclin de la biodiversité. Conscients de l’importance à préserver la biodiversité pour les générations futures, les chasseurs doivent s’engager activement dans des actions de conservation, de restauration des habitats naturels de la petite faune et de la protection des sites de nidification et la sensibilisation du public à l’importance de ces espèces pour les écosystèmes. Ils apportent une expertise précieuse sur le terrain, basée sur une connaissance intime de la faune, de la flore et des écosystèmes. Leurs actions concrètes, telles que la participation à la forestation, la réhabilitation des habitats, la régulation des espèces invasives, ou la participation à des études scientifiques et techniques, démontrent leur volonté de préserver la biodiversité pour les générations futures.
Les chasseurs sont confrontés en plus de ces défis naturels à des obstacles juridiques hérités depuis des décennies et qui entravent le fonctionnement des associations de chasse et limitent leur champ d’action, pourtant nécessaire en matière de formation des jeunes chasseurs en appui à l’administration. Les amateurs de chasse éprouvent à leur tour une grande difficulté à rejoindre le corps des chasseurs en raison des procédures d’obtention des permis de port d’armes, qui prennent des années.Notre secteur nécessite aujourd’hui la collaboration de tous les intervenants pour une réforme et une régulation appropriées.
Quelles sont les conséquences de la perte de la biodiversité ?
La perte de biodiversité, ou la diminution du nombre et de la diversité des espèces vivantes sur terre, est l’un des défis les plus pressants auxquels nous sommes confrontés en ce 21e siècle. Elle est principalement causée par l’activité humaine, qui altère les milieux naturels, exploite les ressources, introduit des espèces exotiques envahissantes et perturbe les cycles naturels de la nature confrontée au réchauffement climatique. Le déclin de la biodiversité peut perturber les équilibres écologiques et affaiblir la résilience des écosystèmes face aux changements climatiques. Parmi les principales conséquences, on peut citer : le risque d’extinction des espèces et l’altération du fonctionnement des écosystèmes compromettant leur rôle dans la régulation du climat, la purification de l’eau et la fertilité des sols. Pour remédier à cette affolante érosion de la biodiversité, les pouvoirs publics et les associations doivent procéder à des renforcements de populations existantes ou des réintroductions d’espèces pour repeupler certains territoires. Là encore, notre réglementation ne permet plus d’apporter la bonne réponse en raison de restrictions sur les opérations de repeuplement et les travaux de notre Forum visent à identifier les bonnes solutions pour rendre cela possible.
Le braconnage est-ce une menace pour la faune ?
Le braconnage représente une des plus grandes menaces pour les espèces. Et le danger est d’autant plus grand que les bandes organisées se durcissent et se multiplient, les moyens utilisés pour le braconnage sont de plus en plus sophistiqués, tandis que les politiques de lutte restent globalement insuffisantes. On parle déjà de la disparition probable de plusieurs espèces d’ici à 2050 qui ont pourtant un rôle à jouer dans la nature, et l’extinction de certaines d’entre elles bouleverse le bon déroulement de fonctions écologiques essentielles. Et là nous appelons à la révision des lois pour promouvoir la chasse organisée tout en changeant de moyens pour combattre le braconnage.
Faut-il procéder à la formation des chasseurs ?
Outre le permis de chasser qui devrait inclure une formation théorique sur les espèces et la sécurité ainsi qu’une formation pratique, une remise à niveau décennale portant sur les règles de sécurité est nécessaire. La chasse requiert un certain nombre de connaissances en matière de sécurité, c’est pourquoi il faudrait proposer une formation adaptée et mettre en place une stratégie pour limiter les risques, mais aussi de précieux conseils concernant l’organisation des battues, la manipulation d’armes à feu, la connaissance de l’environnement et des espèces de gibier. D’où la nécessité de mettre en œuvre un programme d’examen des permis de chasser, conformément aux pratiques en vigueur dans la plupart des pays.
Lors du forum, vous avez proposé plusieurs solutions, dont la digitalisation. A quoi cela servirait ?
La digitalisation est une grande opportunité pour le secteur de la chasse et permettrait d’atteindre plusieurs objectifs en améliorant les procédés de gestion actuellement en place. Prenez par exemple la communication directe avec les chasseurs, nécessaire à toute opération qui vise à les impliquer dans des actions de formation ou les sensibiliser sur des aspects pratiques tels que les calendriers d’ouverture, de fermeture ou les espèces concernées par la chasse, le comptage de la faune sauvage, ou encore la signalisation des territoires interdits à la chasse. Nous avons commencé à numériser notre base d’adhérents afin de mettre à leur disposition une application mobile comportant l’ensemble de ces éléments. La digitalisation est aussi une opportunité pour notre administration de tutelle. Elle lui permettra d’améliorer l’efficacité opérationnelle des agents forestiers au sein de l’administration et sur le terrain et leur procurera un moyen de contrôle fiable et sécurisé, doté de traçabilité. Enfin, la digitalisation simplifiera les procédures entre administrations et avec les chasseurs, afin de mieux suivre et superviser l’activité de la chasse, dont aussi le déroulement des battues de sanglier où nous accueillons chaque année un bon nombre de chasseurs étrangers venus lors de séjours touristiques dans notre très beau pays.
Interview par Kamel BOUAOUINA