Le changement climatique est le bouleversement de tous les facteurs liés au climat durant de longues années. Ainsi, la température, la pluviométrie, la pression atmosphérique subissent une modification au cours du temps. Elles sont renouvelées pour donner une autre forme d’apparition. Comme tous les pays du monde, la Tunisie est affectée par les impacts du changement climatique. Episodes caniculaires de plus en plus longs et répétés, plus de 42°C à Kairouan ce week-end, une sécheresse sans précédent qui met en danger la sécurité alimentaire du pays, des incendies qui menacent les zones les plus arborées, des réserves en eau au plus bas… La Tunisie est en première ligne des conséquences du dérèglement climatique comme l’explique Imen Mezlini , directrice des études One to One for Research and Polling.
Le Temps.news : Les tunisiens sont-ils conscients du changement climatique et de ses conséquences ?
Imen Mezlini : Les résultats de l’enquête d’Afrobarometer en Tunisie, conduites par One to One for Research and Polling, révèlent une reconnaissance encore limitée du terme « changement climatique » car seulement 37% des citoyens affirment avoir connu le terme. La prise de conscience commence par l’information. Avec un faible taux de familiarité concernant ce terme, peut-on réellement parler d’une prise de conscience de cette problématique et de ses conséquences ? La méconnaissance du concept et la désignation du citoyen comme la partie la moins responsable dans la réduction des effets du changement climatique (2% uniquement) montrent clairement qu’il y a beaucoup de travail à faire sur la sensibilisation des citoyens sur le changement climatique et son impact direct sur l’individu et le pays.
Sont-ils bien informés du changement climatique ?
Le chiffre relatif à la familiarité avec le terme « changement climatique » souligne clairement un déficit d’informations parmi la population tunisienne, en dépit de la perception importante de la gravité des sécheresses (77%) et d’échecs des récoltes (54%) (On peut conclure que le lien n’est pas forcément fait entre les phénomènes sévères et le concept du changement climatique).Le déficit d’informations pourrait conduire à des conséquences nuisibles ; Tout d’abord, limiter la capacité des citoyens à cerner les enjeux environnementaux auxquels la Tunisie fait face. Ensuite, empêcher l’action et l’engagement individuel.
Faut-il modifier nos habitudes de consommation ?
Modifier les habitudes de consommation devient impératif pour pouvoir s’adapter aux changements climatiques. Il y a une augmentation considérable dans la perception de la gravité des sécheresses (on passe de 45% en 2018 à 77% en 2024, soit une augmentation de 32 points dans un intervalle de 6 ans).Face à cette réalité et selon l’enquête, une majorité des citoyens (55%) ont indiqué avoir été contraints d’ajuster leurs habitudes de consommation d’eau en réduisant la quantité ou en changeant de sources en raison des modifications dans la nature des conditions météorologiques. La perception de la gravité des sécheresses impose un changement des habitudes de consommation.
Pensez-vous que notre modèle économique est incompatible avec la protection de l’environnement et la lutte contre la crise climatique ?
La crise climatique est mondiale. Elle n’est pas uniquement tunisienne. Cela peut refléter les limites du modèle économique mondial. Ce modèle économique qui a tant permis aux pays du nord de développer leurs économies et créer de la richesse tout en produisant des gaz à effets de serre et polluant la planète. Le modèle économique mondial dans son ensemble nécessite un remodelage afin de le rendre compatible avec la protection de l’environnement et la réduction des effets du changement climatique.
L’enquête d’Afrobarometer en Tunisie, conduite par One to One for Research and Polling, ne s’est pas adressée directement aux citoyens avec cette question mais certains chiffres attirent l’attention sur le lien entre l’économie et l’environnement. Quand on voit que 45% des Tunisiens consomment aujourd’hui de l’eau dans des bouteilles plastiques, il est crucial d’investir dans le recyclage. Cela permet de créer des projets et des emplois mais aussi de protéger notre environnement. Aussi, il y a une incitation de la part des citoyens d’après l’enquête à investir dans les énergies renouvelables.
Faudra-il une transformation radicale de nos modes de vie pour protéger l’environnement ?
Les chiffres sur la gravité des sécheresses et les mauvaises récoltes tirent la sonnette d’alarme. Il va falloir changer nos modes de vie. L’enquête montre que nous n’avons pas le choix. Il faut agir rapidement face à la crise climatique. Il suffit de voir qu’une bonne proportion des citoyens ont dû changer leurs habitudes de consommation d’eau ou d’alimentation. Il y a même ceux qui ont déclaré avoir déménagé à cause des changements des conditions météorologiques (8%).
Quelles sont les politiques urgentes à mettre en place ?
L’enquête a montré que la connaissance du changement climatique reste limitée parmi la population, donc l’une des politiques à mettre en place est : l’éducation et la sensibilisation sur la question du changement climatique et sur ses enjeux et impacts directs sur le citoyen. Lors des interactions avec les participants dans l’atelier de restitution des résultats de l’enquête qui a été organisé le 04 juillet, nous avons évoqué cette question de sensibilisation car sans information, il n’y aura ni compréhension, ni action.
Les Tunisiens, selon l’enquête, appellent en majorité à investir dans l’infrastructure pour faire face aux changements climatiques (96% ont exprimé cela) et ils ont appelé également à investir dans les énergies propres (72%). Comme indiqué auparavant, les pays développés ont une responsabilité climatique envers les pays victimes du changement climatique. Ces pays dédient des fonds pour faire face à la crise climatique et les Tunisiens dans leur majorité (85%) invitent leur gouvernement à faire plus de pression sur ces pays pour aider les victimes du changement climatique
Pensez-vous que l’argent reste le principal frein à l’action mais aussi la condition pour en faire davantage… ?
Pour répondre à cette question je partage l’avis des experts qui étaient présents à l’atelier et qui se sont accordés sur l’importance de l’argent dans l’action. On ne peut pas dire que ce n’est pas important. C’est même très important car les investissements dans l’économie verte, l’infrastructure qui permet de préserver l’eau ou les technologies propres nécessitent beaucoup d’argent. L’un des experts a souligné l’importance « d’explorer tous les canaux disponibles pour garantir le financement des actions écologiques et climatiques parce qu’on parle d’objectifs très ambitieux énoncés dans les orientations climatiques de neutralité carbone, les transitions énergétiques, le secteur de l’eau, etc. Toutes ces stratégies sont conditionnées par des financements. Comment on va les chercher ? Ça doit être au cœur de la gouvernance de l’écologie et du climat en Tunisie. C’est là où on peut s’adresser aux pays du Nord. L’argent est nécessaire, mais ce n’est pas la seule condition pour déclencher des actions ou en faire davantage, car il faut aussi sensibiliser les citoyens. Si une conscience et une responsabilité individuelle se développent, même de petites actions peuvent avoir un impact significatif.
Propos recueillis par Kamel BOUAOUINA