Par Hedi CHERIF (sociologue)
La retraite est un événement social souvent compris, conçu et vécu différemment par plus de 20% de notre population active. C’est un événement souvent paradoxal qui nous renvoie, au moins temporairement, à une solitude de sujet en marge de son milieu familial, social et professionnel. C’est une transition statutaire, un passage d’une personnalité statutaire, avec ses privilèges et distinctions tout comme ses aléas, à une personnalité de base dans une société en perpétuel changement ; une société dont les normes et les valeurs d’inscription culturelle exigent de nouveaux outils pour une socialisation sans heurt au retraité.
Cette transition varie selon les personnes, dans le temps et dans l’espace, elle évolue et elle tire son sens tout comme sa détermination du milieu dans lequel elle se fait, et elle se réalise. Historiquement, elle obéit souvent à une logique religieuse. Dans toutes les cultures y compris la nôtre arabo-musulmane, faire sa retraite (selon le philosophe Michel de Montaigne au 16ème siècle), signifie dans la plupart des cas, « une inscription dans une logique religieuse et volontaire, un retrait du monde, de ses aléas et de ses distinctions, afin de se concentrer sur la vie spirituelle ».
Dans un article publié dans la revue Canal Psy, 39/1999 le professeur lyonnais de psychologie clinique précise aussi que, « l’instauration progressive de la retraite s’inscrit donc dans une logique qui confirme la représentation contraignante, voire aliénante du travail (rappelons que l’étymologie de travail renvoie à « Tripalium » qui était un instrument de torture) et l’oppose à un temps libre naissant situé du côté du plaisir ».
Néanmoins, d’autres habitudes semblent être de plus en plus fréquentes dans nos sociétés comme :
- Celles de se mettre au service de nos enfants et de nos petits-enfants, pour les assister sans compter, quitte à se procurer un plaisir par un déplaisir jusqu’à même tomber dans une forme de masochisme générateur de fatigues et d’ennuis ;
- Celles de continuer par nécessité à obéir aux lois d’une aliénation professionnelle pathologique pour arrondir les fins de chaque mois ;
- Celles aussi de la fuite en avant à la recherche d’un équilibre dans les ‘’bars parallèles‘’ par exemple pour noyer leurs chagrin et soigner leurs déprimes. etc.
A l’exception de cas de retraités aux compétences psycho-intellectuelles et émotionnelles confirmées, et qui sont en mesure de puiser dans le concept de la ‘’santé mentale‘’ pour une planification correcte d’une retraite paisible , et qui sont vraiment rares , la forte majorité se laisse emporter, soit par le flux d’un héritage socioculturel peu actuel ,prévalant et privilégiant une logique spirituelle historiquement dominante, soit une autre de type professionnel aliénante, ou celle d’origine instinctif rarement claire et précise.
Bien au contraire, cet héritage socioculturel et ses habitudes continuent à battre leur plein dans nos sociétés, à augmenter, à creuser au fil des jours l’écart intergénérationnel, et à provoquer un inconfort familial, social le plus souvent générateur d’anxiété et de déprime. La retraite ainsi conçue et choisie est souvent vécue comme une désocialisation, une désinstitutionalisation organisée, institutionnalisée, elle participe ainsi, à mettre tout le monde en crise, à altérer le capital relationnel au sein de la famille comme en société, et à exposer tout le monde et notamment nos retraités à un état d’anxiété voire même de déprime.
Cet héritage socioculturel et ses habitudes légitimées par un consensus socialement dominant, sur lequel aucune autre logique n’est capable d’agir réellement et efficacement, est synonyme d’un antalgique qui calme le symptôme de la douleur et qui fausse le diagnostic. Le changement statutaire, brusque et sans préparation psycho-sociale et émotionnelle préalable, montre selon les études que la retraite peut augmenter de 40% le risque de faire une dépression majeure.
Le bien être psycho-sociale et mental du retraité, est un capital très précieux, sa planification tout comme sa gestion ne se limitent ni aux considérations religieuses et spirituelles, ni aux garanties financières , ni même aux modes de solidarité familiale, bien au contraire c’est un choix qui puise son sens dans des référentiels de l’OMS qui considèrent que « la santé mentale, est une composante essentielle de la santé et représente bien plus que l’absence des troubles ou de handicaps mentaux, selon l’OMS un état de bien être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’accepter une contribution à la communauté ».
Dans notre société tunisienne, qui continue à fonctionner sur un mode de solidarité familiale et sociale, sauf erreur d’appréciation de ma part, et sans vouloir généraliser, une forte majorité de nos retraités continue à cultiver son équilibre et son bonheur dans un système qui dans la plupart de cas expose tout le monde aux risques générateurs d’altercations et d’inconfort psycho-social des uns et des autres, malgré l’amour et l’affection partagés même dans les conflits.
Etant réaliste, le changement socio-culturel qui tarde à rentrer réellement dans le comportement psycho-social et mental de la nouvelle génération des retraités au terme d’un projet, qui puise son sens dans le concept de la ‘’santé mentale‘’ même, continue à nourrir des états d’inconfort psycho-social d’anxiétés et de déprime chez nos retraités.
Comment rester actif, en tenant à faire des choses que nous avons toujours aimé faire, demeure la façon idéale de transformer la déprime en sérénité, et en la joie de vivre. L’élaboration d’un plan, voire même d’une feuille de route à court, à moyen et à long terme pour une transition fluide au statut de retraité conscient de ses droits et devoirs envers soi même, envers son entourage familial et social, reste un idéal à conquérir. C’est une question de temps, de savoir, de savoir- faire et de savoir être, et ‘’vivement la retraite‘’.