Par Mona BEN GAMRA
Dans The Needle un film de Abdelhamid Bouchnak, on découvre avec une rare sensibilité la noblesse du sentiment profond qu’est l’amour d’une mère pour son enfant, magnifiquement illustré par l’acte d’allaiter.… Car tout commence et passe par l’amour d’une maman...présenté comme un geste nourricier, comme une communion intime, un moment de tendresse et de partage qui dépasse le fait de donner le sein ou de nourrir son enfant au biberon. Donner le sein à son enfant est l’une des expressions les plus naturelles et intimes d’un amour inconditionnel qui transcende les cultures et les époques . Il rappelle avec justesse combien cet acte naturel incarne le dévouement, la générosité et la force du lien maternel.
Une scène marquante met en lumière toute la beauté et la profondeur de cet amour . On y voit une mère allaitant son bébé, un geste simple mais empreint d’une émotion universelle. Ce moment, à la fois intime et puissant, symbolise la connexion unique entre une mère et son enfant. L’acte d’allaiter est ici sublimé par la réalisation, qui capte avec une grande délicatesse la tendresse et la noblesse de ce lien vital. Ce geste, porteur de vie, devient une véritable ode à la maternité dans sa forme la plus pure et la plus authentique.
Le cinéma au service des droits humains
L’association *Journalistes pour les Droits Humains*, bureau de Tunisie, a récemment accueilli le jeune et talentueux réalisateur du film *The Needle* en tant qu’invité d’honneur. Cet événement, réunissant des représentants de la société civile, des médias et des experts, a mis en lumière des discussions essentielles sur les droits humains et leur traitement médiatique.
Au cœur de cet échange, un outil précieux : le guide pratique intitulé *Le traitement médiatique éthique des droits sexuels et reproductifs*. Ce document, conçu par l’association, sert de boussole pour les professionnels des médias, les aidant à aborder des sujets souvent sensibles avec responsabilité et rigueur. Dans un contexte tunisien en pleine mutation, cette initiative répond à une demande croissante d’informations nuancées et d’un discours respectueux sur ces thématiques.
La participation du réalisateur de *The Needle* a enrichi les débats en offrant une perspective artistique et culturelle. Son intervention a illustré comment le cinéma peut sensibiliser et mobiliser autour de questions cruciales, telles que les droits humains et les droits reproductifs. L’art, dans toutes ses formes, a été présenté comme un outil puissant pour toucher les consciences et ouvrir le dialogue sur des sujets souvent négligés ou tabous.
Cet événement démontre l’importance de collaborations intersectorielles pour faire avancer les droits humains en Tunisie. Qu’il s’agisse du cinéma, des médias ou de la littérature, ou encore de la sociét civile, chaque contribution joue un rôle dans la sensibilisation et l’éducation.
Parmi les thématiques évoquées, l’allaitement maternel a occupé une place importante. Bien que ce sujet soit d’une grande importance pour la santé publique, il reste sous-représenté dans les livres et les études en Tunisie. Cependant, des efforts notables émergent, portés par la société civile et des spécialistes de divers domaines…
Le Dr Maher Haffani, pédiatre, a contribué à ce champ avec un ouvrage dédié, soulignant les bienfaits de l’allaitement maternel et les défis auxquels sont confrontées les mères tunisiennes. Son livre s’inscrit dans une démarche éducative, offrant des réponses claires et basées sur la science à une problématique encore trop peu discutée. « Mon bébé, mon enfant », un livre écrit il y a plusieurs années par le Dr Haffani, demeure l’une des rares références en matière de puériculture et d’enseignement sur l’allaitement maternel. Interrogé à ce sujet, le Dr Haffani souligne que « de plus en plus de jeunes mamans optent aujourd’hui pour l’allaitement au sein, un choix qui contraste avec les pratiques des générations précédentes, souvent influencées par des considérations esthétiques, favorisant l’allaitement au biberon.»
Allaitement maternel en Tunisie : état des lieux
Malgré son rôle crucial pour la santé des nourrissons et des mères, l’allaitement maternel reste marginalisé en Tunisie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : seulement 17,8 % des Tunisiennes allaitent leurs enfants jusqu’à l’âge de six mois, selon les dernières statistiques officielles. Bien que ce taux ait légèrement progressé – passant de 13,5 % en 2018 à 17,8 % en 2023 – il demeure alarmant. À l’échelle mondiale, la moyenne atteint 48 %, creusant un fossé préoccupant entre la Tunisie et les standards internationaux.
La situation est encore plus alarmante lorsqu’on s’attarde sur les premiers instants de la vie : 65,7 % des nouveau-nés tunisiens ne reçoivent pas le sein dans l’heure qui suit leur naissance. Pis encore, 82 % des nourrissons ne sont pas allaités pendant leurs six premiers mois. Ces chiffres traduisent une réalité alarmante où plus de huit bébés sur dix sont privés des bienfaits de l’allaitement exclusif, pourtant recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Pour Dr. Zahra Marrakchi, pédiatre et présidente de l’Association Hanan pour la promotion de l’allaitement maternel, ce déclin est le résultat de plusieurs facteurs. Elle pointe notamment l’inefficacité des lois régissant la publicité des substituts du lait maternel et une législation obsolète. La loi n°83-24 de 1983, qui régit la publicité des substituts de lait maternel, reste insuffisante pour contrer ces influences.
. « Les campagnes publicitaires agressives influencent les choix des familles et favorisent les laits industriels au détriment de l’allaitement naturel, pourtant plus sûr et bénéfique », affirme-t-elle.
Les observateurs pointent du doigt aussi le congé de maternité qui reste en de-ça des besoins d’une maman qui vient d’accoucher
Le congé maternité en Tunisie, actuellement inférieur à 12 semaines, est loin des 18 semaines recommandées par les experts de la santé. Cette durée insuffisante ne permet pas aux mères de se rétablir pleinement ni de s’engager dans un allaitement exclusif pendant les premiers mois de vie du bébé. Les conséquences sur la santé maternelle et infantile sont significatives.
Les législateurs tunisiens sont appelés à prendre des mesures pour allonger ce congé et offrir aux femmes travaillant dans le secteur public ou privé des droits garantis pour continuer l’allaitement après leur reprise de travail. Une solution équilibrée, qui concilie les besoins de productivité des employeurs et les impératifs de santé des mères et des enfants, est nécessaire.
Outre les réformes juridiques, un changement culturel s’impose. La faible sensibilisation aux bienfaits de l’allaitement est une des causes majeures du déclin. Seulement 30 % des femmes tunisiennes déclarent être pleinement informées des avantages de l’allaitement maternel, selon les experts.
Un effort collectif est essentiel pour éduquer les familles, notamment en milieu rural, où les normes culturelles et le manque d’informations freinent souvent les pratiques d’allaitement. Les campagnes de sensibilisation doivent également s’attaquer aux stéréotypes liés à la répartition des tâches domestiques, qui alourdissent la charge des mères et compliquent leur capacité à allaiter.
Garantir aux mères des conditions adaptées pour l’allaitement n’est pas qu’une question individuelle : c’est un enjeu de santé publique. Investir dans l’allaitement maternel, c’est réduire les risques de maladies chez les enfants, améliorer la santé des mères et alléger les coûts de santé pour les familles et l’État. Ensemble, entre législations adaptées, campagnes de sensibilisation et soutien familial, la Tunisie peut relever le défi et donner à chaque enfant le droit de bien démarrer dans la vie.
Des spécialistes donnent un autre son de cloche
Il est important, par ailleurs, de souligner que certaines mères, pour des raisons de santé, ne peuvent malheureusement pas allaiter. La psychologue Oumaima Zaimia, membre de l’association « Health and Psychology », apporte un éclairage intéressant à ce sujet. Selon elle, « il n’existe pas de lien de causalité simple entre le type d’allaitement et le devenir d’un enfant. Le développement d’un enfant est bien trop complexe pour être réduit à ce seul facteur. »Elle insiste sur l’importance de la relation d’allaitement entre le donneur de soins, généralement la mère, et le bébé. « Ce qui compte avant tout, c’est la disponibilité de la mère, en particulier sur le plan psychique. C’est cet équilibre qui joue un rôle déterminant dans le bien-être de l’enfant. »
Mona BEN GAMRA