Les idées et les mots voyagent . Ils ont trouvé un port d’attache à Hammamet à l’initiative du forum international de Réalités sur les défis et les nouvelles tendances du secteur de tourisme en Méditerranée qui a rassemblé plusieurs experts et associations en tourisme durant trois jours afin de débattre du devenir d’une région qui comptera 176 millions d’habitants en 2025 et appelée à accueillir jusqu’à 500 millions de touristes à l’horizon 2030. C’est dire donc de l’importance stratégique d’avoir une vision prospective sur ce sujet du forum de Réalités qui demeure un espace ouvert de dialogue et d’échange fructueux.
Les thématiques développés dans le cadre de cette manifestation ont toujours suscité un vif intérêt, retenu l’attention des décideurs et favorisé un croisement des idées et des expériences et comme l’a souligné Taieb Zahar, le Président du Forum « La Méditerranée, ce bien commun qui nous appartient à tous et que nous avons le devoir et la responsabilité de préserver, s’enorgueillit d’être la première destination touristique mondiale soit environ 300 millions de visiteurs selon l’OMT ce grâce à une nature , un patrimoine historique , architectural et culturel exceptionnels. Le tourisme est la source de près de 10% des emplois dans la zone . La situation géographique de la Méditerranée, la beauté de ses paysages sont autant de qualités attractives qui sont, aujourd’hui, sous la menace de la pollution et des changements climatiques. Aussi, un lent déclin semble se dessiner pour la destination méditerranéenne, d’abord sur fond de montée en puissance de nouvelles destinations touristiques (Asie-Pacifique, Caraïbes…) , mais aussi de l’instabilité des rives Sud et Est . Ce lent déclin se dessine, également sur fonds d’impératifs structurels tels que la nécessité de lourds investissements, le renouvellement de l’offre des produits touristiques et surtout du modèle du tourisme balnéaire de masse. De plus, le développement, parfois anarchique de l’activité touristique, a un coût pour l’environnement en général, et pour les écosystèmes littoraux en particulier. Dès lors, la perspective d’un changement climatique représente un défi majeur pour le secteur du tourisme confronté notamment à des problèmes aigues en matière de consommation et de gestion de l’eau et de l’énergie. De ce fait, les pays riverains de la Méditerranée, les Etats du Maghreb au Sud comme ceux des rives européennes ont une responsabilité particulière dans la préservation de leur environnement car pouvant impacter tout le bassin et accélérer le processus de déclin du secteur de tourisme. Aussi, est-il impératif pour les pays du Sud de se comporter en partenaires et non pas en concurrents, pour que le tourisme soit un outil d’intégration et ce particulièrement pour les pays maghrébins.
Pour une meilleure écoute des nouvelles tendances du tourisme
Il est vrai que les pays du Nord sont confrontés depuis le milieu des années 2010 au surtourisme. Ceux du Sud se plaignent d’un déficit de flux. Aujourd’hui, les pays méditerranéens sont appelés à réfléchir ensemble sur la manière de gérer ce surtourisme au Nord pour que tout le monde en profite et notamment la Tunisie. C’est pourquoi, le forum est à ce titre, l’espace idoine pour en discuter et proposer des idées pour une meilleure écoute des nouvelles tendances du tourisme mondial. Les pays méditerranéens ont besoin d’un plan stratégique complet pour leurs actions futures et pour relever les défis qui se posent au secteur. Si la crise a été une occasion pour réunir toutes les parties concernées, il reste à s’entendre aujourd’hui sur une vision commune et à déployer une stratégie globale à même de donner un autre sens au partenariat dans ce domaine. Cela implique la mise en place d’une gouvernance locale forte et volontariste et l’introduction de nouvelles régulations touristiques dans les destinations méditerranéennes dans lesquelles le tourisme a été développé de façon organique. Taieb Zahar devait indiquer que « la Tunisie, l’instar des pays du pourtour méditerranéen, n’ a pas été épargnée par la crise que le secteur a connu notamment à cause de la pandémie du covid -19 et les effets des premières années de la révolution. Si aujourd’hui , la Tunisie commence à sortir la tête de l’eau, c’est grâce à des grands sacrifices mais aussi , et surtout, grâce au soutien de ses partenaires qui n’ont pas manqué d’être au chevet de la Tunisie et du secteur touristique durant cette période difficile. La Tunisie qui compte parmi les pays qui risquent d’être les plus touchés par les changements climatiques , est appelée à revoir sa stratégie de développement du secteur touristique qui contribue à hauteur de 14% du PIB. Sauf que ce secteur reste confronté à de nombreux problèmes structurels et conjoncturels. Un plan de restructuration a été décidé avec les pouvoirs publics et les professionnels qui se sont mis à explorer de nouvelles pistes et à renouveler leur offre pour faire revenir les vacanciers. Le résultat ne s’est pas fait attendre trop longtemps et les indicateurs de 2024 sont au vert. Vacanciers locaux comme étrangers cherchent des expériences hors des sentiers battus. Les propriétaires de gîtes ruraux et entrepreneurs du secteur tentent de proposer une autre offre plus durable et différente. Le ministère du tourisme semble d’ailleurs bien décidé à montrer la voie en encourageant le tourisme alternatif et durable »
Repenser le tourisme tunisien face aux mutations actuelles
À cette occasion, Wahida Jaiet, chargée de mission auprès du ministère du Tourisme et de l’Artisanat, a axé son intervention sur les défis du tourisme dans le futur « Le secteur du tourisme est à la fois très vulnérable aux changements climatiques .Accélérer l’action climatique dans le tourisme est donc de la plus haute importance pour la résilience du secteur. Les effets du changement climatique sur l’activité touristique sont plus ou moins sensibles. Les pénuries d’eau deviendraient difficiles à gérer sous la pression du tourisme selon les lieux et saisons. L’érosion littorale viendrait menacer le modèle touristique balnéaire. Par contre, l’accroissement des risques naturels et les modifications paysagères ont un impact plus difficilement envisageable. Cette vulnérabilité des systèmes touristiques face au changement climatique sera ponctuellement renforcée ou limitée selon les stratégies que développeront les touristes. . Il est donc de notre responsabilité d’engager une réflexion approfondie et de trouver ensemble des solutions pour relever ces défis », a-t-elle encore précisé.
« Le tourisme durable est un secteur à haut potentiel, un véritable gisement de richesses et une des possibilités viables de diversification touristique, assure Wahida Jaiet . La Tunisie fait partie de ces pays. C’est aussi un nouveau défi à relever. Les nouvelles formes d’hébergement, comme les maisons d’hôtes ou les hôtels de charme, illustrent cette stratégie.Les flux touristiques internationaux sont en train de se réorienter avec le développement du tourisme rural, culturel, gastronomique, sportif ou saharien dans une démarche de durabilité sociale, économique et environnementale. De nouvelles formes de tourisme se sont développées depuis de nombreuses années, visant à promouvoir un type de tourisme vertueux, au bénéfice des populations locales. Les concepts de tourisme solidaire, tourisme responsable, tourisme équitable, tourisme communautaire ont ainsi été développés par des opérateurs spécialisés, pour des consommateurs attentifs à la manière dont ils pratiquent leur tourisme »
Jaiet a en outre indiqué que « la digitalisation est un axe majeur de la nouvelle stratégie touristique tunisienne. Avec l’avènement de l’ère numérique, les nouvelles technologies s’avèrent les leviers essentiels pour réinventer le secteur et en encourageant les pratiques d’écotourisme. De l’innovation en matière de transport respectueux de l’environnement à l’utilisation de plateformes numériques pour une gestion plus efficace des flux touristiques, les outils numériques ouvrent la voie à un avenir où voyage rime avec durabilité. Ce type d’innovation façonne un avenir où le tourisme est synonyme de responsabilité et de préservation de l’environnement. Le tourisme durable ne se veut pas un segment isolé mais se conçoit comme un principe de développement durable applicable à tous les types d’activités touristiques, agissant sur les comportements des consommateurs et des producteurs du secteur, et supposant une évolution de ceux-ci motivée par une culture du changement. Il constitue alors un outil d’intégration de l’économie verte dans la production et la consommation durable des produits touristiques. Au final, il correspond à une prise de conscience collective de la nécessité de produire et consommer durablement dans toute la chaîne de l’offre et de la demande. Ces collaborations, ces échanges avec les pays méditerranéens sont de nature à résoudre des problématiques communes, telles que l’impact climatique et environnemental, tout en renforçant la compétitivité des destinations méditerranéennes. D’où la nécessité d’une action collective pour repenser le tourisme méditerranéen face aux mutations actuelles »
Le tourisme durable pour valoriser l’image de la destination Tunisie
La Tunisie dispose de tous les atouts nécessaires pour se démarquer et pour devenir un modèle de tourisme responsable et durable à l’international. Elle a besoin d’un plan stratégique complet pour relever les défis qui se posent au secteur tout en donnant un autre sens au partenariat . C’est dans ce cadre que la coopération avec l’Union européenne (UE) est d’une importance capitale, notamment à travers des programmes d’assistance technique à l’image du projet tounes wajhatouna que l’UE a lancé d’un montant 51 millions d’euros, dont 45 millions proviennent de l’UE, visant à valoriser cette image, diversifier l’offre touristique et promouvoir un développement durable dans le secteur et comme l’a souligné Sami Saya , consultant international en économie de développement « Ce plan d’action vise à stimuler et à soutenir l’adoption de pratiques novatrices et durables par les entreprises et les intervenants clés du secteur touristique, de façon à accélérer la transition vers un tourisme responsable et durable. La mise en œuvre de ce programme s’articule autour de trois grands axes thématiques. La diversification et la consolidation de la qualité de l’offre touristique visant le développement du tourisme durable comme l’écotourisme et le tourisme culturel afin de permettre au tourisme tunisien de se positionner sur d’autres segments à forte valeur ajoutée, et de valoriser l’image de la destination Tunisie. Le renforcement des chaînes de valeurs dans les domaines de l’artisanat et du design a pour objectif de faire évoluer l’artisanat vers un secteur économique à plus forte valeur ajoutée
e…L’ONUDI s’est chargée de la mise en, œuvre cette action alors que la valorisation du patrimoine culturel dans l’offre touristique essaie de mettre en avant notre riche patrimoine culturel à l’image du réaménagement et la mise en valeur du musée de Carthage.L’un des succès notables du programme « Tounes Wijhetouna » est la diversification de l’offre touristique, en effet grâce à cette initiative, le renouvellement de l’offre a contribué à promouvoir une image plus positive de la Tunisie en tant que destination touristique. Le programme a favorisé le développement de produits touristiques alternatifs, tels que le tourisme culturel, écologique et d’aventure, afin de pouvoir répondre ainsi aux nouvelles attentes des voyageurs….De plus, le programme a mis l’accent sur les formations et là, l’assistance technique fournies dans le cadre du programme a également permis d’améliorer les compétences des acteurs du secteur. Ces efforts sont essentiels pour créer un environnement propice au développement d’un secteur touristique tunisien compétitif .L’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Giuseppe Perrone, a souligné, que l’Union européenne et le plus grand partenaire avec la Tunisie en matière du tourisme durable et de la promotion de nombreux programme dont notamment « Touens Wejhatouna » (تونس وجهتنا ) .Il s’agit, pd’un défi que la Tunisie devrait relever pour promouvoir ce secteur prestigieux tout en comptant sur son partenariat avec l’UE.
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Pour sa part, José Froehling, chef de projet et expert sectoriel en tourisme pour la GIZ, l’agence allemande pour la coopération internationale, a exposé le rôle essentiel de la GIZ dans la promotion du tourisme durable en Tunisie et dans d’autres pays méditerranéens. Il a souligné que la Tunisie projette de développer un tourisme durable et responsable qui revitalise l’intérieur du pays, crée des emplois et offre de nouveaux produits touristiques à forte valeur ajoutée. Ce faisant, le ministère du tourisme répond aux exigences actuelles des tendances internationales et aspire à attirer de nouveaux groupes cibles afin de consolider le tourisme qui représente l’un des secteurs économiques les plus importants. Dans une approche commune, le projet réunit les acteurs publics et privés du secteur pour développer de nouvelles offres touristiques et culturelles. Les attractions à fort potentiel touristique sont reliées et promues par des routes thématiques. Dans toutes ses interventions, le projet s’investit dans des approches écologiquement et socialement durables en veillant à préserver la nature et sauvegarder le patrimoine culturel. Ainsi, l’industrie du tourisme, en tant que thème transversal, contribue à une amélioration holistique et durable de l’économie tunisienne.Carme Hortalà, directrice de GVC Gaesco (Espagne), a insisté sur la nécessité pour la Tunisie de ne pas devenir une simple « plage de l’Europe ». Elle a mis en lumière les limites du modèle all-inclusive, souvent néfaste pour l’artisanat local et les commerces hors des complexes hôteliers tout en appelant à développer le tourisme durable. Anis Mghirbi, directeur marketing du groupe Seabel, a précisé que le tourisme durable est également un enjeu clé. Respect des critères environnementaux, lutte contre le gaspillage ou encore communication transparente : ces pratiques sont essentielles pour séduire les voyageurs conscients des enjeux sociétaux, tout en valorisant le numérique qui ne cesse de transformer le parcours client. Les outils comme l’intelligence artificielle et les chatbots permettent d’interagir avec le client avant, pendant et après son séjour. Cette connexion continue améliore la satisfaction et favorise des stratégies de cross-selling.Le développement du tourisme durable fait écho à l’évolution des attentes et des pratiques des consommateurs.
En effet, d’une façon générale, la sensibilité au développement durable est de plus en plus marquée au sein de la population. Alors que la Tunisie se prépare à accueillir près de 10 millions de touristes en 2024, les acteurs du tourisme ont pour enjeu de montrer l’exemple, d’introduire la dynamique dans le secteur en proposant des produits touristiques durables.
Kamel BOUAOUINA
Photos – Berrazagua