La société évolue et, avec elle, les modes d’éducation de nos enfants. La famille et l’école jouent un rôle prépondérant, mais ce ne sont pas les seuls à avoir une action sur le devenir social , éducatif et culturel de l’enfant. Internet, les réseaux sociaux, la télévision, la société, la rue ont un pouvoir non négligeable sur son comportement et sur ses choix de vie.
L’éducation, c’est surtout des valeurs. Enseigner, c’est principalement un contenu, une méthode et quelque chose de plus « concret ». Mais éduquer et enseigner sont indissociables un peu comme la construction d’une pyramide où les blocs s’emboîtent les uns avec les autres. L’éducation, c’est aussi l’expérience de son enseignement qui représente la plus-value de chacun. L’enseignant se contente le plus souvent d’enseigner, c’est-à-dire de transmettre un corpus de connaissances à un enfant qui est amené à l’intégrer. Dans ce paradigme, l’enfant est souvent réduit à sa dimension d’apprenant. Par contre, lorsqu’il met l’enfant au centre de la conduite éducative, l’enseignant se fait éducateur. L’enfant devient alors un sujet en formation et l’acquisition des connaissances devient pour lui un moyen de développement. Est-ce qu’un bon pédagogue peut tout enseigner et éduquer? Est-ce qu’éduquer est la responsabilité première des parents, de la société, des médias, ou également de l’enseignant ? Les explications de Ridha Zahrouni, président de l’Association tunisienne des parents et des élèves.
Le Temps.news : L’éducation ne s’oppose donc pas à l’école, mais on peut se demander si elle est toujours aussi efficace qu’on le croit ?
Ridha Zahrouni : Convenons tout d’abord de ce qu’est l’éducation quand on parle de l’école. Je crois pour ma part que dans notre conscience populaire, on ignore totalement les sens qui lui sont assignés par les dictionnaires et arrêtés les lois.En français, Le robert définit l’éducation comme étant » la mise en œuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d’un être humain » et évoque les sciences de l’éducation.
Larousse, ajoute que l’éducation porte « sur la connaissance et la pratique des bonnes manières, des usages de la société et du savoir-vivre ».Les définitions en arabe reprennent pratiquement les mêmes significations pour les humains et s’étendent, même à d’autres organisme et créatures vivantes dans le sens de culture ou d’élevage comme dans la langue française. L’article 3 de notre loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement no 2002-30 du 23 juillet 2002 confie à l’école une mission « d’éducation » avec l’instruction et l’enseignement. Elle a pour finalité d’élever les élèves dans la fidélité, la loyauté et la fierté d’appartenance à notre pays, et dans l’amour de notre patrie.Elle doit affermir en eux la prise de conscience de notre identité nationale et leur sentiment d’intégration dans une civilisation aux dimensions nationale, maghrébine, arabe, islamique africaine et méditerranéenne, et renforcer l’ouverture sur la civilisation universelle.L’éducation doit également enraciner l’ensemble des valeurs partagées par les Tunisiens, fondées sur la primauté du savoir, du travail de la solidarité de la tolérance et de la modération.Enfin, elle doit garantir l’instauration d’une société profondément attachée à son identité culturelle, moderne et ouverte sur des idéaux humanistes et des principes universels de liberté, de démocratie, de justice sociale et des droits de l’homme.J’ai tenu à préciser ces concepts, car dans le jargon de la majorité de nos concitoyens, l’éducation se limite à l’enracinement des valeurs, et uniquement
Est-ce que l’enseignant a perdu ce rôle d’éducateur ?
Il n’y a pas de mon point de vue d’éducateur dans le sens de maître passeur de valeurs et garant du respect et de la politesse. Aujourd’hui, on doit bien comprendre les sens évoqués par la loi et l’on doit dans le même temps être acquis à l’idée que notre école doit être également chargée d’éduquer nos enfants et nos jeunes aux principales exigences de la vie de tous les jours, en nette métamorphose dans le temps et dans l’espace. Elle doit être en mesure de traiter et développer des thèmes essentiels tels que l’éducation à la santé, l’expression par le corps et par les arts, la maîtrise des émotions, la sécurité routière, l’éthique de la route, la préservation de l’environnement, les avantages du développement durable, la maîtrise de la santé nutritive, le bon usage des réseaux sociaux, etc.
Des thèmes dont le contenu et la manière de les transmettre doivent être conçus par des spécialistes. Et les enseignants doivent être formés pour répondre aux exigences de la tâche.
Est-ce que les réseaux sociaux ont bouleversé cette notion d’éducation de l’école ?
Les réseaux sociaux ont ouvert les portes à l’accès à d’autres cultures, traditions, comportements et concepts de vie, qui peuvent être différents des nôtres, compte tenu des exigences de notre appartenance arabo-musulmane. Ces réseaux avec toutes les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies permettent également la consultation de sites violents, immoraux ou même nocifs, à des jeunes, souvent fragiles de personnalité ou révoltés, dont plusieurs vivent en marge de la société. Donc réceptifs, facilement influençables, et desquels on peut s’attendre à des réactions malveillantes, parfois dangereuses, pour eux comme pour les autres : leurs camarades, leurs enseignants ou même leurs parents.
C’est pourquoi j’ai toujours réclamé que notre école doit se charger de l’éducation de nos élèves sur le bon usage des médias, des outils numériques et des nouvelles technologies de communication, notamment, l’utilité et la sûreté de l’emploi en ce qui concerne les aspects sécuritaires, légaux et moraux.
Est-ce que l’éducation se limite uniquement à l’école ?
Comme j’ai décrit ci-haut, quand on parle de l’éducation des valeurs de base comme le respect, la politesse ou le patriotisme, la famille a un rôle à jouer avec l’école, quand elle a les capacités intellectuelles pour le faire. D’ailleurs, l’implication des parents est toujours nécessaire pour garantir la réussite de nos enfants tout le long de leur cursus scolaire.Mais avec l’élargissements des champs d’action de l’éducation, il nous faut obligatoirement faire appel à des spécialistes pour élaborer le contenu des matières à enseigner et la façon de les enseigner qui doivent tenir compte de l’âge et de la progression des apprenants dans leur cursus scolaire. La société civile et les médias ont également un rôle important à jouer dans ce domaine, sur les plans national, régional et international. L’Etat a un rôle à jouer . Il doit être le principal artisan du développement de notre système éducatif.Le développement d’un pays dans tous les domaines dépend de l’efficience de son école et son essor est fortement corrélé à la qualité de son système d’éducation. C’est pourquoi j’ai toujours évoqué à chacune de mes interventions, l’urgence de la mise en œuvre des politiques appropriées pour reconstruire notre école et relever par la suite les défis auxquels nous sommes confrontés
Comment réinventer l’éducation ?
Il n’y a aucune raison pour réinventer l’éducation. On doit tout simplement assimiler ses contours et prendre conscience de ses portées en rapport avec les exigences de la vie et de sa philosophie, et réserver les moyens nécessaires pour accompagner nos enfants dès leurs bas âges pour devenir, une fois adultes, des citoyens du monde, c’est-à-dire capables de vivre et de gagner leur vie en Tunisie ou ailleurs. L’école doit de ce fait tenir compte des préalables éducatifs de la vie contemporaine pour la consolidation de la personnalité de l’apprenant et pour l’aiguisement de ses prédispositions, et prendre en charge aussi, la formation de sa personnalité dans son intégrité morale, affective, mentale et physique en l’éduquant aux valeurs universelles, au respect des bonnes mœurs et des règles de bonne conduite; en l’instruisant sur la solidarité, sur l’ouverture sur les réalisations de la modernité et sur les règles de la vie collective; en développant sa volonté, ses dons et sa confiance en soi et en enracinant chez lui l’émulation et l’esprit du défi et la volonté de la réussite.En même temps qu’elle doit inculquer aux enfants et aux jeunes les principes de la citoyenneté et la façon de l’exercer; développer chez eux le sens civique; construire leur prise de conscience des valeurs des libertés, de la démocratie, de la justice, des sciences et du travail et les sens des droits et des devoirs; et les préparer pour contribuer à la construction d’une société solidaire fondée sur la justice, l’équité, l’égalité et la dignité. Il y’a beaucoup de travail à faire, je le concède, mais il nous faut juste une volonté politique affirmée et continue et qui doit faire appel aux spécialistes et aux compétents du domaine. C’est une affaire sérieuse pour être confiée à des amateurs ou à des novices. On parle de nos enfants et de nos hommes de demain.
Interview par Kamel BOUAOUINA