Sur les routes, les taxis collectifs occupent une place incontournable dans le paysage du transport urbain et périurbain. Ils sont une solution abordable, souvent rapide et largement utilisée par une grande partie de la population, notamment dans les zones périphériques où les transports publics sont défaillants. Pourtant, derrière cette utilité indéniable se cache une réalité inquiétante : leur conduite agressive et leurs pratiques dangereuses en font l’un des acteurs les plus accidentogènes du réseau routier tunisien.
Chaque jour, des milliers de citoyens empruntent ces véhicules, souvent par nécessité plus que par choix. Les taxis collectifs sont devenus, pour certains, le seul moyen d’accéder à leur lieu de travail, à leur établissement scolaire ou aux services administratifs.
Mais ce qui devrait être un simple trajet se transforme fréquemment en course à haut risque, où vitesse excessive, dépassements imprudents et non-respect du code de la route sont monnaie courante. Les passagers sont les premiers témoins de ces abus. Il n’est pas rare d’entendre des récits de manœuvres abruptes, de freinages dangereux ou de conduites sur la bande d’arrêt d’urgence pour doubler les files de voitures. Ces comportements, qui semblent faire partie d’un quotidien banalisé, soulèvent de sérieuses inquiétudes sur la sécurité des usagers.
Des comportements qui défient les règles
Dans de nombreuses zones, notamment sur les axes très fréquentés comme la route de la Marsa, ces pratiques ne sont plus des exceptions mais la norme. Certains chauffeurs de taxis collectifs se sentent visiblement au-dessus des lois, n’hésitant pas à zigzaguer entre les véhicules, à ignorer les feux rouges ou à rouler à une vitesse largement supérieure à la limite autorisée. Ce mépris du code de la route est d’autant plus alarmant qu’il se déroule sous les yeux d’autres automobilistes, piétons et forces de l’ordre, souvent impuissants.
Cette situation perdure depuis des années. Et pourtant, les drames se succèdent : collisions multiples, renversements de véhicules, blessés, voire morts. Chaque incident relance le débat sur la nécessité de réguler plus strictement ce secteur, mais les actions concrètes restent rares et insuffisantes.
Malgré les nombreuses plaintes des citoyens et la couverture médiatique des accidents liés à ces véhicules, la réponse institutionnelle tarde à se structurer. La police de la circulation semble débordée, les contrôles sont sporadiques et souvent inefficaces, et les sanctions, lorsqu’elles existent, manquent de rigueur. Dans ce vide réglementaire, certains conducteurs s’autorisent toutes les dérives. Pire encore, un sentiment d’impunité semble s’être installé : tant que le véhicule est rempli et que le trajet est bouclé en un temps record, les risques pris sont considérés comme un simple prix à payer. Cette logique perverse expose non seulement les passagers, mais aussi tous les autres usagers de la route à un danger constant.
Entre nécessité sociale et menace publique
Il faut toutefois reconnaître la complexité du problème. Les taxis collectifs remplissent une fonction sociale importante. Dans de nombreuses régions mal desservies par les transports en commun, ils sont le seul moyen de déplacement accessible. Les conducteurs, de leur côté, travaillent souvent dans des conditions précaires, avec des revenus instables et une pression constante pour rentabiliser leurs trajets.
Mais cela ne saurait justifier le non-respect des règles élémentaires de sécurité. Le droit à un transport abordable ne doit pas se faire au détriment du droit à la sécurité sur la route. Le rôle de l’État est ici fondamental : il ne s’agit pas d’éliminer ces services mais de les encadrer, les professionnaliser et instaurer une culture de la responsabilité.
Vers une réforme nécessaire
Il est urgent que les autorités mettent en place des mécanismes de régulation efficaces. Cela commence par une refonte des procédures d’octroi de licence, en intégrant une formation obligatoire au code de la route, mais aussi à la sécurité des passagers. Un contrôle régulier du comportement des conducteurs à l’aide de véhicules banalisés pourrait également avoir un effet dissuasif. Il faut également instaurer un système de sanctions claires, progressives et appliquées systématiquement. La vidéosurveillance, déjà présente sur certains grands axes, peut être mobilisée pour documenter les infractions et renforcer les poursuites. Parallèlement, l’État devrait réfléchir à des solutions alternatives, notamment le développement de lignes de transport public fiables et bien desservies, afin de réduire la dépendance des citoyens aux taxis collectifs.
La situation actuelle ne peut plus durer. Chaque accident évitable, chaque blessé ou chaque mort sur les routes est une alerte supplémentaire. Tant que des mesures concrètes et fermes ne seront pas prises, les taxis collectifs continueront de représenter une menace latente sur nos routes. Préserver la vie humaine doit redevenir la priorité. Entre souplesse sociale et fermeté réglementaire, un équilibre est possible — mais il nécessite une volonté réelle, une action coordonnée et un engagement constant.
Leila SELMI
