Le président américain Donald Trump a adressé lundi une lettre officielle à 14 Chefs d’Etat dont la Tunisie, confirmant l’imposition de surtaxes douanières allant de 25% à 40%. Après trois mois de négociations mouvementées, les dés sont jetés et l’administration Trump va au bout de sa guerre commerciale dont les risques sont innombrables sur le commerce mondial et sur l’inflation.
La Tunisie a-t-elle préparé un plan B contre ces sanctions tarifaires ?
A travers sa plateforme Truth Social, Donald Trump a publié pas moins de quatorze lettres adressées au Japon, à la Corée du Sud, à la Tunisie, au Cambodge, à la Thaïlande ou encore au Laos. La mesure, qui doit entrer en vigueur à compter du 1er août, prévoit des taux variables selon les pays : 25% pour le Japon, la Corée du Sud et la Tunisie, 36% pour le Cambodge et la Thaïlande, et jusqu’à 40% pour la Birmanie et le Laos.Washington avertit également que toute riposte commerciale sera immédiatement sanctionnée par une surtaxe additionnelle équivalente. Une nouvelle ère commerciale s’ouvre avec ces mesures tarifaires et non tarifaires qui sont de nature à fausser les échanges et qui sont incompatibles avec les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce).
La poussée de la fièvre protectionniste aux Etats-Unis vise à réduire le déficit commercial de la 1ère puissance mondiale. Le déficit commercial atteint en 2024 près de 920 milliards de dollars, en croissance de 17% par rapport à 2023. La politique commerciale menée par l’administration Trump vise à réduire les importations avec des droits de douane élevés, à négocier l’augmentation des importations de produits américains comme le gaz naturel en Europe, mais aussi à desserrer la contrainte budgétaire en augmentant les recettes douanières. Les droits de douane imposés par Trump et l’instabilité de la politique budgétaire américaine pourraient avoir un impact négatif sur le commerce mondial.
La filière de l’huile d’olive, principal perdant
Les sanctions américaines peuvent avoir plusieurs types d’effets sur la Tunisie, tant sur le plan économique que politique. Bien que les États-Unis ne soient pas le partenaire commercial le plus important de la Tunisie, les sanctions peuvent perturber certains secteurs spécifiques et avoir des conséquences indirectes sur l’économie globale. De plus, des sanctions peuvent influencer les relations bilatérales et la politique intérieure tunisienne.
L’impact direct de la surtaxation douanière de 25% sur les produits importés de la Tunisie ne sera pas très important selon certaines analyses. En effet, dans une analyse élaborée par le service économique régional de Tunis relevant de la Direction générale du Trésor français au mois d’avril dernier, on relève que l’enjeu commercial est très limité pour la Tunisie, du fait de la marginalité de ses échanges commerciaux avec les Etats-Unis.
Selon l’INS, les échanges commerciaux (biens) bilatéraux ne représentent que 2,6% du commerce extérieur de la Tunisie en 2024, avec 3,8 Mds TND (soit un peu plus d’1 Md EUR), faisant des Etats-Unis un partenaire commercial secondaire, les deux tiers des échanges de biens de la Tunisie se faisant avec l’Europe. Vue des Etats-Unis, la Tunisie est un partenaire commercial encore plus marginal (0,02% des échanges de biens des Etats-Unis), les données américaines montrant un creusement du déficit bilatéral américain depuis 2020, alors que les échanges étaient auparavant plutôt excédentaires pour les Etats-Unis. Ce déficit a atteint 620 M USD en 2024, notamment sous l’effet-prix de la hausse des prix de l’huile d’olive. Si les exportations des Etats-Unis vers la Tunisie stagnent autour de 500 M USD par an depuis une dizaine d’années, les importations connaissent une croissance marquée depuis 2019, passant de 470 M USD en 2019 à 1,1 Md USD en 2024 (huile d’olive principalement, mais aussi des équipements mécaniques et électriques, des engrais). Pour les Etats-Unis, la Tunisie est un partenaire commercial marginal, puisque les exportations américaines vers la Tunisie ne représentent que 0,02% du total des exportations américaines de biens en 2024, soit 503 M USD pour un total de 2 065 Md USD d’exportations américaines, et les importations de produits tunisiens seulement 0,03% des importations américaines (1,1 Md USD sur un total de 3 260 Md USD d’importations américaines).
L’huile d’olive sera le principal produit frappé par cette hausse tarifaire, les Etats-Unis étant le 3e client de la Tunisie avec 24% des exportations tunisiennes d’huile d’olive (en 2024 : 45 000 tonnes pour 1,2 Md TND, soit 360 M EUR).
Un potentiel d’exportations de la Tunisie vers les Etats-Unis à 700 M USD
Les importations tunisiennes depuis les Etats-Unis portent sur des produits variés : engins mécaniques (306 M TND), matières et produits en plastique (283 M TND), oléagineux (217 M TND), matériel optique (130 M TND), machines électriques (85 M TND), automobiles (75 M TND)… Les exportations de la Tunisie vers les Etats-Unis portent, quant à elles, principalement sur l’huile (1,2 Md TND, soit 45000 tonnes), les équipements mécaniques (136 M TND), les engrais (119 M TND), les matériels électriques (107 M TND), les vêtements (48 M TND).
L’outil Export Potential Map développé par l’ITC estime que le potentiel d’exportations de la Tunisie vers les Etats-Unis est de l’ordre de 700 M USD par an, soit le 5e marché (après France, Allemagne, Italie, Espagne). Le potentiel inexploité serait donc de 370 M USD, sur la base d’un montant réalisé d’exportations de 450 M USD. L’huile d’olive serait le produit à plus fort potentiel d’exportations (déjà réalisé à 100%), suivie des équipements électriques et de l’habillement. Parallèlement, le potentiel d’exportations des USA vers la Tunisie est estimé à 620 M USD, soit un potentiel inexploité de 310 M USD (pour un montant réalisé de 400 M USD). Les produits offrant le potentiel d’exportations le plus élevé sont les fèves de soja (réalisé à 86%), le maïs (réalisé à 46%), puis les matériels électroniques et les voitures.
Pour ce qui est des effets indirects de la hausse tarifaire, la même source prévoit un allégement du déficit commercial, notamment du déficit énergétique sous l’hypothèse de la dépréciation durable du dollar. « Par ailleurs, la politique américaine de soutien à la production pétrolière devrait entraîner des pressions à la baisse sur les prix pétroliers, et bénéficiera à la facture énergétique de la Tunisie, importatrice nette d’hydrocarbures, notamment de pétrole et produits pétroliers raffinés, avec des effets bénéfiques sur les comptes extérieurs (hausse des réserves de change) et sur les finances publiques (baisse des subventions aux carburants). La Tunisie serait à l’inverse négativement affectée par une baisse des revenus des pays producteurs de pétrole par le canal du commerce extérieur et du tourisme », explique la même source.
Une reconfiguration profonde de l’économie mondiale est en marche. Selon les économistes, si le commerce international se détourne des États-Unis, les transactions en yuan, en euro ou en monnaies indexées sur l’or pourraient se multiplier. Ce glissement remettrait en cause le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar. La Tunisie doit accélérer sa diversification des débouchés, renforcer ses liens commerciaux avec l’Afrique, le monde arabe, l’Asie du Sud-Est ou même les pays du Mercosur ou encore le marché commun du Sud, formé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. Pour sortir de l’impasse, la Tunisie est amenée à se repositionner dans ce nouvel ordre économique mondial qui signe la fin de la mondialisation et qui a commencé à saper les bases de la croissance mondiale. Cette guerre tarifaire est de nature à désorganiser les chaînes de valeur, renchérir les produits, alimenter l’instabilité, sans restaurer durablement l’emploi ou la compétitivité.
Yosr GUERFEL AKKARI
