Alors que l’enseignement supérieur est censé incarner l’excellence et l’exemplarité du service public, plusieurs députés ont dénoncé, lors d’une plénière tenue le 7 juillet 2025, la précarité persistante qui frappe de nombreux agents du secteur. Contrats temporaires à répétition, absence de perspectives de carrière, violations du droit du travail… Les élus réclament une réforme profonde du recrutement et de la gestion des ressources humaines.
Des voix se sont élevées dans l’hémicycle pour dénoncer la persistance d’un système d’emploi précaire, notamment dans les établissements universitaires et les structures de recherche, où plusieurs agents sont recrutés sous des statuts provisoires, des contrats à durée déterminée reconduits abusivement, ou encore via des mécanismes d’emploi dits exceptionnels.
Mais maintenant que le contrat à durée déterminée est limité à des cas précis avec la nouvelle loi de réforme du code du travail, il est nécessaire de mettre fin à ces situations d’emploi non régulières, dans lesquelles l’agent n’est ni contractuel stable ni fonctionnaire titulaire. Des personnes qui étaient recrutées sans concours officiel, ont été affectées à des tâches permanentes, mais sans bénéficier des droits et garanties d’un agent public. Ces statuts temporaires par nature pouvaient durer parfois des mois, voire des années. Cette précarité est désormais interdite par le nouveau droit du travail. Ces formes d’emploi détournent l’esprit des lois, entretiennent une précarité institutionnalisée et bloquent les perspectives de carrière, notamment chez les jeunes diplômés.
Plus de 5000 titulaires de doctorats confrontés au chômage
La question des chômeurs titulaires de doctorats est l’un des paradoxes les plus préoccupants du système d’enseignement supérieur et du marché de l’emploi. Malgré un haut niveau de qualification, des centaines de docteurs restent sans emploi, parfois durant des années. Selon certaines statistiques, la Tunisie compte plus de 15 000 titulaires de doctorat, dont une part importante est au chômage, parfois depuis plus de cinq ans. « 5 000 titulaires de doctorats se trouvent confrontés au chômage ou travaillent dans des secteurs non adaptés à leur qualification », avait déclaré aux médias, à plusieurs reprises, Abderrahmane Khélifi, porte-parole des doctorants au chômage. Cela est dû au fait que le nombre de doctorats en Tunisie, dépasse les besoins du marché du travail. Ce qui engendre une situation de chômage ou de sous- emploi dans plusieurs cas. En outre, les promotions annuelles de nouveaux docteurs s’ajoutent à ce nombre, sans perspective réelle d’intégration dans les universités publiques, faute de postes budgétaires. Au-delà des chiffres et des procédures, les députés ont rappelé que cette question touche directement à la dignité des travailleurs, à l’image de l’État, et à l’équité dans l’accès à l’emploi. Ils ont demandé au gouvernement de faire de la lutte contre le travail précaire dans le secteur public une priorité nationale, dans la continuité des principes défendus par le Président Kaïs Saïed. D’ailleurs, les députés ont critiqué le faible taux d’intégration des diplômés dans le marché du travail. Ils ont pointé du doigt l’inadéquation des filières universitaires actuelles avec les besoins économiques et les mutations technologiques.
Déséquilibre entre formation et réalité du marché
Les parlementaires ont notamment mis en lumière un déséquilibre criant entre les formations dispensées dans les établissements universitaires tunisiens et les réalités du marché de l’emploi. Selon eux, l’université tunisienne continue de former des cohortes entières de jeunes dans des filières qui peinent à offrir des débouchés professionnels, alors que certains secteurs porteurs manquent cruellement de compétences adaptées. Le problème n’est pas seulement le chômage des diplômés, mais la manière dont sont préparés les jeunes à intégrer une économie en mutation rapide. Il existe une inadéquation persistante entre l’offre de formation et la demande économique, en particulier dans les domaines technologiques, industriels et numériques. Car de nos jours, les mutations rapides des métiers, notamment avec la digitalisation, l’intelligence artificielle ou la transition écologique, exigent une adaptation continue des programmes universitaires. Or, les réformes tardent à voir le jour, et les partenariats entre universités et entreprises sont encore peu structurés, limitant l’employabilité des jeunes diplômés. Par ailleurs, plusieurs députés ont exprimé de sérieuses réserves quant à l’orientation actuelle du système universitaire tunisien, marqué par une volonté croissante d’internationalisation. Certes, il y a un intérêt stratégique à ouvrir l’université tunisienne à l’international, notamment en attirant des étudiants étrangers ou en concluant des accords de double diplomation. Cependant, il faut se garder de favoriser une internationalisation déséquilibrée, qui risquerait de détourner les établissements de leur mission première qui consiste essentiellement à satisfaire aux besoins du pays.
Internationalisation et risque de fuite des cerveaux
Le principal risque est celui de la fuite des cerveaux. Dans un contexte déjà marqué par le départ massif de jeunes diplômés, notamment dans les secteurs de la santé, de l’ingénierie et de la recherche, les parlementaires craignent que l’encouragement excessif à l’internationalisation n’accélère l’exode des talents, au détriment du développement national. C’est donc vers une internationalisation maîtrisée et encadrée qu’il faut opter afin de préserver les missions de service public de l’enseignement supérieur. Bref, l’université est appelée à devenir un levier de développement national, tout en restant ouverte à l’international mais sans perdre de vue ses responsabilités vis-à-vis de la jeunesse et des territoires du pays. Plusieurs intervenants ont dénoncé une politique universitaire parfois tournée vers des logiques de prestige ou de rentabilité à court terme, au lieu de s’aligner sur les priorités économiques, sociales et territoriales de la Tunisie. Ainsi, l’inadéquation persistante entre les filières universitaires et les besoins réels de l’économie tunisienne, conjuguée à une faible intégration des diplômés dans le marché de l’emploi, constituent aujourd’hui un frein majeur au développement. Face à un chômage des diplômés qui ne cesse d’augmenter, il devient impératif de repenser l’orientation des études supérieures à la lumière des mutations technologiques et des priorités économiques du pays. Former pour former ne suffit plus. Il faut désormais former pour insérer, innover et contribuer à la transformation du tissu productif national. C’est à cette condition que l’université pourra redevenir un véritable moteur de croissance et de justice sociale.
Ahmed NEMLAGHI
