La proposition de loi visant à soutenir la société El Fouladh, qui a été déposée par 12 députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le 15 juillet 2025, a été récemment transmise à la commission de l’Industrie, du Commerce, des Ressources naturelles, de l’Énergie et de l’Environnement de l’ARP. Cette initiative législative, qui vient au secours de cette société, entend lui permettre de bénéficier de ressources matérielles publiques non exploitées. Le texte prévoit en effet que la société El Fouladh puisse accéder aux installations, équipements et matières métalliques dont l’État, les collectivités locales, ainsi que les établissements et entreprises publics n’ont plus l’usage. L’objectif premier est de favoriser le recyclage et la réutilisation à des fins industrielles, en renforçant le rôle de cette entreprise dans l’économie circulaire et la valorisation des déchets métalliques.
Il faut dire que la société publique El Fouladh présente une situation alarmante, selon les chiffres qu’elle a publiés en juin 2025 sur ses états financiers relatifs à l’exercice 2023. Il y a une chute considérable du chiffre d’affaires de 18%, avec un net négatif de 42,8 millions de dinars et une trésorerie déficitaire avec une dette sociale qui s’accumule depuis plus de onze ans. Cette publication tardive incite à se poser des questions sur la gouvernance et la viabilité des entreprises publiques d’une manière générale. Selon les comptes publiés, le résultat net au 31 décembre 2023 enregistre une perte de 42,8 millions de dinars, contre une perte de 6,6 millions l’année précédente. L’entreprise est donc de plus en plus déficitaire et aucune amélioration durable ne se dessine. En outre, la société El Fouladh n’a cessé de cumuler des dettes depuis plusieurs années et elle n’a pas de cotisations sociales à la CNSS depuis le quatrième trimestre 2013. Le montant dû s’élève à 56,9 millions de dinars, auxquels s’ajoutent 76 millions de pénalités de retard. Des sommes qui n’ont pas été régularisées et la situation est gelée. Dans les rapports des commissaires aux comptes, El Fouladh survit grâce aux crédits bancaires garantis par l’Etat. Certains éléments oeuvrent par tous les moyens à inciter à sa cession pour une bouchée de cerises, et sa privation. Une alternative à laquelle le Président de la République Kaïs Saïed s’est énergiquement opposé à l’occasion de la visite qu’il a rendue à la société en décembre 2023 et qui a dénoncé les «tentatives entreprises pour la céder à des parties étrangères et les pressions exercées à cet effet, durant la décennie noire». En fait, il y a eu des manœuvres de déstabilisation et de corruption par certains réseaux qui agissaient discrètement dans le secteur de la ferraille.
Relance industrielle et préservation des ressources
Cela nécessite une réforme qui doit passer nécessairement par des cessions, partielles ou totales, d’actifs publics qui n’ont plus vocation à être gérés par l’État. D’où l’objet de la proposition de loi qui s’inscrit dans une volonté plus large de relance industrielle et de préservation des ressources, à travers une meilleure gestion des biens publics devenus obsolètes ou inutilisés. Il est prévu selon le texte de la proposition de loi que la société El Fouladh, pourrait « bénéficier des installations, équipements et matières métalliques dont l’État, les collectivités locales, ainsi que les entreprises et établissements publics n’ont plus l’usage, en vue d’activités de recyclage et de réutilisation industrielle», un droit de jouissance qui ne peut être effectif sans l’autorisation préalable des services du ministère de l’Intérieur, conformément à la législation en vigueur sur la gestion des biens des collectivités locales. Il est prévu également une coordination avec les services du ministère de l’Environnement pour garantir le respect des normes environnementales et des règles de sécurité.
Cette proposition de loi constitue une bouffée d’oxygène à la société El Fouladh, en lui permettant de disposer de matières premières et d’équipements sans recourir à l’importation ou à l’achat sur le marché local, ce qui réduirait significativement ses coûts de production. En facilitant l’accès à des biens publics inutilisés, tout en restant dans un cadre légal rigoureux, le texte vise à stimuler l’activité industrielle, tout en favorisant une logique de recyclage et de durabilité. L’espoir est bien sûr de redresser une entreprise stratégique mais lourdement déficitaire, souvent confrontée à des problèmes de trésorerie, de vétusté des équipements et de concurrence accrue. Si cette loi venait à être adoptée et appliquée efficacement, elle pourrait contribuer à améliorer la rentabilité de l’entreprise, à préserver des emplois et à relancer partiellement la filière sidérurgique tunisienne.
Nécessité d’une réforme de gouvernance pour la gestion des risques
Toutefois, cela ne saurait suffire sans une réforme de gouvernance, une modernisation des outils de production et une gestion plus rigoureuse. Il est utile également de savoir gérer les risques éventuels. Car, au-delà des opportunités qu’offre cette proposition de loi, la gestion des risques doit être au cœur de sa mise en œuvre. Le transfert de biens publics à une entreprise, même à des fins industrielles et de recyclage, doit s’accompagner de mécanismes de contrôle rigoureux, pour éviter les abus, le favoritisme ou la dilapidation du patrimoine de l’État. Il faudra aussi veiller à ce que la sélection, la traçabilité et la valorisation de ces biens se fassent dans la transparence, avec des procédures normalisées et conformes aux règles de la commande publique. Car un soutien mal encadré, même animé de bonnes intentions, peut aggraver les déséquilibres au lieu de les corriger. Ainsi, la réussite de cette initiative dépendra autant de la volonté politique que de la capacité de l’administration à anticiper, encadrer et gérer les risques économiques, juridiques et éthiques liés à l’opération. Ainsi, cette proposition de loi représente une opportunité de relance pour la société El Fouladh, mais sa réussite dépendra de la mise en place de garde-fous efficaces. Allier soutien économique et rigueur de gestion est la clé pour transformer ce texte en levier de redressement durable et non en source de dérives.
Ahmed NEMLAGHI
