Le Conseil ministériel de mardi dernier présidé par la Cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzri, a été consacré entre autres, aux moyens visant à booster l’investissement public dans le but de mieux activer l’investissement privé, en encourageant les sociétés communautaires et les petites et moyennes entreprises (PME) à investir dans les secteurs de la santé, des transports et de l’éducation.
Cette orientation s’inscrit dans une logique de synergie entre les deux sphères, l’une servant d’impulsion à l’autre. Le gouvernement entend ainsi ouvrir davantage d’opportunités pour les sociétés communautaires, ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME), en les incitant à investir dans des secteurs à fort impact social tels que les transports ou l’éducation. L’objectif est double.
Il consiste d’abord à répondre à des besoins essentiels de la population tout en créant de la valeur économique et de l’emploi local. Pour ce faire, des mécanismes de soutien, d’incitation et de simplification des procédures devraient être mis en place, afin de lever les blocages bureaucratiques souvent dénoncés par les porteurs de projets. Cette nouvelle orientation traduit la volonté des autorités de construire une économie plus inclusive et résiliente, ancrée dans les réalités locales. Toutefois, le modèle des sociétés communautaires se distingue nettement de celui des PME classiques. Fondées sur des principes de solidarité, de gestion participative et d’ancrage local, ces structures visent à impliquer directement les citoyens, notamment les jeunes et les chômeurs, dans des projets de développement économique et social.
Outils de démocratisation économique
Contrairement aux PME, qui répondent principalement à une logique entrepreneuriale privée et individuelle, les sociétés communautaires sont pensées comme des outils de démocratisation économique, agissant souvent dans des zones marginalisées ou à fort potentiel inexploité. Le gouvernement ambitionne, à travers ces sociétés, de créer un tissu économique alternatif, capable de combler certaines défaillances du marché, tout en renforçant la cohésion sociale. Leur implication dans les domaines de la santé, de l’éducation ou des transports ne vise donc pas uniquement la rentabilité, mais aussi la réponse à des besoins collectifs prioritaires. À titre d’exemple, dans certaines régions rurales, des groupes d’ouvrières agricoles pourraient se regrouper pour créer une société communautaire de transport agricole, afin d’assurer elles-mêmes, dans des conditions dignes et sécurisées, leurs déplacements quotidiens vers les champs. Une telle initiative contribuerait non seulement à réduire la précarité et les accidents fréquents dans ce secteur, mais aussi à renforcer l’autonomie économique et sociale de ces femmes, en les plaçant au cœur du dispositif de production et de gestion. C’est ce type de réponse de proximité, à la fois économique et solidaire, que cherche à encourager le gouvernement à travers le soutien aux sociétés communautaires.
Nécessité d’un cadre réglementaire pour régir les nouvelles dynamiques
C’est la raison pour laquelle cette approche, qui semble prometteuse sur le papier, doit être concrétisée sur le terrain, ce qui reste encore semé d’obstacles. Jusqu’à présent et malgré les efforts menés par l’Etat, la situation n’a pas beaucoup changé, et on apprend encore la survenue d’accidents de transport des ouvrières agricoles à cause de moyens indignes destinés à l’origine au transport de bétail, qui persistent encore. Du côté des investisseurs privés, la principale interrogation demeure la clarté du cadre réglementaire régissant ces nouvelles dynamiques. Les sociétés communautaires, bien qu’inscrites dans une logique solidaire et territoriale, manquent encore de précision juridique et fiscale. Beaucoup de porteurs de projets potentiels s’interrogent : comment ces structures seront-elles financées ? Quel statut exact pour les membres ? Quels droits et obligations en matière de gouvernance, de responsabilité et de partage des bénéfices ? Car les sociétés communautaires semblent tarder encore à prendre leur envol. Les efforts de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, chargée des Entreprises communautaires, sont louables à cet effet. Les objectifs étant d’atteindre les 1.500 entreprises avant la fin de l’année en cours.
Viabilité et infrastructure de base fonctionnelles
Les chambres de commerce et les organisations patronales saluent, pour leur part, le principe d’ «écosystème productif élargi», mais appellent à éviter les chevauchements et redondances avec les PME classiques. Certains craignent que des distorsions de concurrence apparaissent, notamment si des aides publiques substantielles sont réservées aux seules structures communautaires, sans critères clairs de performance ni de transparence. Du côté des collectivités locales et des ONG de développement, l’initiative est plutôt bien accueillie, notamment dans les régions défavorisées où l’État peine à répondre aux besoins de base. Ces acteurs y voient une opportunité de relocalisation de l’économie, susceptible de créer des emplois, d’ancrer les jeunes dans leur territoire et de renforcer le tissu social. Mais ils rappellent aussi que ces structures ne pourront jouer leur rôle sans un véritable accompagnement institutionnel, en matière de formation, de montage de projet et surtout, de suivi dans le temps. Le principal défi, en somme, est de ne pas faire reposer sur des entités fragiles des missions trop lourdes, qui relèvent normalement de la puissance publique. Il ne suffit pas d’inciter à créer des sociétés communautaires ou des PME : encore faut-il qu’elles soient viables, qu’elles disposent d’un accès au crédit, à la commande publique, aux marchés et qu’elles puissent s’appuyer sur des infrastructures de base fonctionnelles. C’est la voie dans laquelle semble s’engager le gouvernement avec détermination, mais non sans quelques difficultés. Acceptons-en l’augure.
Ahmed NEMLAGHI
