Alors que la proposition de loi en vue d’une amnistie générale concernant les condamnés pour émission de chèques sans provision, a été dernièrement retirée par le parlement, l’Association nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME) est revenue à la charge, en appelant dans un récent communiqué, à la dépénalisation du chèque sans provision et à son remplacement par des mécanismes civils de recouvrement des créances, garantissant les droits tout en tenant compte des réalités économiques.
Cet appel traduit la préoccupation de l’association «face aux conséquences aggravées de la criminalisation des chèques sans provision et à leurs répercussions négatives sur des milliers d’entreprises, leurs employés, ainsi que sur les équilibres généraux de l’économie nationale».
Il faut dire que si d’après la nouvelle loi sur les chèques, il n’y a pas eu une totale dépénalisation, il n’en reste pas moins que désormais, il n’y a pas d’infraction pour les chèques dont le montant ne dépasse pas 5000 dinars. Une résolution par laquelle le législateur a voulu d’une part, maintenir un certain seuil à ne pas franchir, afin de ne pas encourager une impunité au détriment des créanciers et d’autre part, responsabiliser les banques. Celles-ci sont désormais tenues d’informer le bénéficiaire sur la situation du compte de l’émetteur du chèque, avec de nouvelles procédures, afin d’éviter les abus du passé, avec les multiples usages du chèque, qui a été pendant longtemps dénaturé, pour servir d’instrument de crédit avec les chèques échelonnés et antidatés, alors qu’il est un instrument de paiement. Ce qui veut dire que la nouvelle loi a été prise dans le but de mettre fin aux pratiques qui étaient à la base de la recrudescence des chèques sans provision. Désormais, avec les nouveautés entreprises dans la procédure d’émission des chèques, il n’y a pratiquement plus de risques d’incidents.
Situation aggravée depuis 2011
Or, selon l’ANPME, ceux qui sont condamnés en vertu de l’ancienne loi, sont encore dans l’expectative, alors qu’ils devraient bénéficier des conditions de la nouvelle loi, en vertu du principe du bénéfice de la loi la plus douce. Parmi eux, il y a ceux qui purgent encore de lourdes peines, alors que d’autres sont en fuite à l’étranger, ou quelque part ailleurs et ne peuvent pas, de ce fait, régulariser leur situation. Si bien que, selon l’ANPME ainsi que plusieurs experts en la matière, malgré la nouvelle loi, la situation n’a pas été débloquée pour autant en ce qui concerne les cas antérieurs à cette loi. Surtout que plusieurs personnes sont encore en train de purger de lourdes peines de prison. Par ailleurs, la même association a souligné que d’après le Registre national des entreprises, «près de 350 000 entreprises n’avaient plus déclaré leurs revenus fiscaux depuis plus de trois ans, signalant un effondrement du tissu entrepreneurial». En effet, les émetteurs de chèques sans provisions sont d’anciens patrons en faillite qui ont, dans la plupart des cas, liquidé leurs biens pour échapper à la prison. Car, étant incarcérés, ils ne peuvent ni récupérer les fonds ni les réintégrer dans le circuit économique. L’association a fait remarquer à juste de titre, que ce qui a aggravé la crise, c’était d’une part, les pressions fiscales croissantes et les afflux massifs d’importations bon marché, qui ont eu lieu après 2011 et d’autre part, la pandémie de la Covid et son impact sur la situation économique d’une façon générale. D’autant plus que les banques ont retiré l’octroi des facilités de caisse, ce qui a aggravé davantage la situation des PME.
Éviter la prison encouragerait davantage à l’investissement privé
De ce fait, l’ANPME estime qu’il est nécessaire de régulariser la situation de ceux qui sont encore en prison ou en situation irrégulière dont plusieurs chefs de PME et ce, en dépénalisant le chèque conformément aux standards internationaux. Certes, la dépénalisation du chèque serait conforme aux pratiques actuelles dans d’autres plusieurs autres pays qui privilégient les sanctions civiles et administratives, telles que les amendes ou l’interdiction bancaire. Cela permettrait d’éviter l’emprisonnement de chefs d’entreprises et de désengorger par là même les tribunaux et les prisons, souvent surchargés pour des affaires purement commerciales. Ce qui donnerait l’occasion aux dirigeants de PME de rester actifs plutôt que derrière les barreaux, favorisant ainsi la survie de l’entreprise, la sauvegarde des emplois et la continuité de l’activité économique. Par ailleurs, en accompagnant la dépénalisation de mécanismes comme les garanties alternatives ou les systèmes de médiation, on modernise le système de paiement et on le rend plus fiable. Et quoi qu’il en soit, moins de risques pénaux pour les transactions commerciales rassurent les entrepreneurs et investisseurs, ce qui peut encourager l’investissement privé.
Nécessité de mécanismes compensatoires fiables
Toutefois, cela n’est pas sans inconvénients, à cause des risques potentiels qui altèrent les relations commerciales. Car en l’absence de sanction pénale, certains débiteurs peu scrupuleux pourraient multiplier les chèques sans provision, affectant la sécurité des transactions. D’où la perte de confiance dans le chèque comme moyen de paiement. Pour certains, le chèque étant actuellement un titre exécutoire, sans sanction pénale, les créanciers risquent de voir leurs recours judiciaires s’allonger ou s’affaiblir. La période de transition est instable et c’est la raison pour laquelle, sans mécanismes compensatoires solides, la suppression du levier pénal pourrait créer de l’insécurité juridique à court terme. L’ANMPE plaide pour la dépénalisation du chèque sans provision en Tunisie, estimant que l’emprisonnement des chefs de PME en difficulté ne résout rien sur le plan économique. Cette réforme, adoptée dans de nombreux pays, vise à privilégier les mécanismes civils. A condition qu’elle soit bien encadrée et accompagnée de réformes institutionnelles avec une justice commerciale, une transparence bancaire, et des instruments de garantie solides. Elle ne doit pas être perçue comme une impunité, mais comme un recentrage des sanctions vers l’efficacité économique et la justice civile. Car, sans dispositifs de contrôle efficaces, elle pourrait fragiliser la confiance dans le chèque comme instrument de paiement. Le défi est donc de concilier sécurité juridique, protection des créanciers et relance de l’activité économique. C’est vraisemblablement dans cette optique que la proposition de loi, portée par certains députés, a récemment été retirée, afin de permettre l’élaboration d’une formule plus adéquate, en vue de préserver les droits de toutes les parties prenantes, dans un esprit de justice sociale renforcée.
Ahmed NEMLAGHI
