Comme indiqué dans une récente livraison, et dans un contexte économique tendu où de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) tunisiennes peinent à maintenir leur activité, l’Association nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME) a récemment lancé un appel fort en faveur d’une réforme structurelle du système de paiement. L’organisation met particulièrement l’accent sur la nécessité de développer des alternatives aux chèques postdatés, un outil largement utilisé mais devenu problématique, afin de rétablir les flux financiers légitimes, soutenir la relance du marché et répondre aux enjeux sociaux posés par l’endettement croissant des individus en difficulté.
En Tunisie, le chèque postdaté est devenu un instrument de paiement courant dans les transactions commerciales. Utilisé comme garantie de paiement différé, il pallie l’absence de mécanismes bancaires souples adaptés aux réalités des petites entreprises. Cependant, cette pratique expose aussi les signataires à de lourdes conséquences juridiques en cas d’impossibilité de règlement à l’échéance, notamment des poursuites judiciaires, l’inscription au fichier des interdits bancaires, voire des peines privatives de liberté dans certains cas.
L’ANPME alerte depuis plusieurs mois sur les dérives de cette pratique. Pour de nombreux petits entrepreneurs, commerçants et particuliers, le recours aux chèques postdatés est devenu un piège : utilisés pour pallier un manque de trésorerie, ils finissent par aggraver la précarité financière. Les risques associés découragent l’activité économique formelle, incitent à l’informalité et fragilisent la confiance entre partenaires économiques.
Un appel à une réforme du système bancaire
Face à cette situation, l’ANPME appelle les autorités, en particulier les banques publiques, à mettre en place des mécanismes de paiement échelonné plus modernes, plus sûrs et juridiquement encadrés. Il s’agirait par exemple de développer des instruments comme les traites électroniques, les crédits de trésorerie à court terme pour les professionnels, ou encore les systèmes de prélèvement automatique à échéances définies.
Ces outils offriraient un cadre légal clair, limitant les risques pour les deux parties – créanciers comme débiteurs – tout en encourageant des relations commerciales plus saines et plus transparentes. Les banques publiques, de par leur mission de service public et leur proximité avec les couches vulnérables de l’économie, sont jugées particulièrement stratégiques dans ce processus.
Recréer une dynamique économique saine
Au-delà de la question des instruments de paiement, l’ANPME insiste sur l’importance de relancer une véritable dynamique économique fondée sur la création de richesses. L’association préconise la mise en place d’un programme national intégré visant à réintégrer dans le tissu économique les personnes surendettées, interdites bancaires ou en situation de précarité.
Selon l’ANPME, il est essentiel de leur offrir des opportunités concrètes de formation, d’accompagnement à l’entrepreneuriat, ou de réinsertion dans l’économie formelle. Ces personnes, qui sont souvent exclues du système bancaire, pourraient alors bénéficier d’un encadrement spécifique leur permettant de générer un revenu stable, de retrouver une dignité sociale et de rembourser progressivement leurs dettes. L’objectif d’un tel programme serait double : d’un côté, apaiser les tensions sociales liées à l’exclusion économique, de l’autre, élargir la base des contribuables et relancer la consommation intérieure, moteur essentiel de croissance pour une économie comme celle de la Tunisie.
Un enjeu de justice sociale et de stabilité
L’appel de l’ANPME ne relève pas seulement de considérations économiques. Il s’agit aussi d’un enjeu de cohésion sociale. Aujourd’hui, des milliers de Tunisiens vivent dans l’angoisse d’un chèque impayé, d’un dossier judiciaire ou d’un casier bancaire défavorable. Cette situation mine la stabilité de nombreuses familles, creuse les inégalités et alimente un sentiment d’injustice, en particulier parmi les catégories modestes ou les jeunes entrepreneurs sans soutien financier. La création d’un cadre plus souple, plus juste et plus inclusif pour le crédit et le paiement différé est donc présentée comme une condition essentielle pour restaurer la confiance dans le système économique.
Par cette sortie médiatique, l’Association nationale des petites et moyennes entreprises remet sur la table une question fondamentale, celle de l’accès équitable au financement et à des moyens de paiement adaptés à l’économie réelle. En appelant à la fin de la dépendance au chèque postdaté et à la création d’alternatives bancaires modernes, l’ANPME trace les contours d’une réforme nécessaire pour redynamiser le tissu économique, protéger les plus vulnérables et construire un avenir fondé sur la confiance et la justice économique. Il appartient désormais aux pouvoirs publics, aux établissements financiers et aux acteurs économiques de répondre à cet appel avec des mesures concrètes, à la hauteur des défis du moment.
Leila SELMI
