Selon les données récemment publiées par la Banque centrale de Tunisie, «l’encours des crédits bancaires non professionnels octroyés par les banques commerciales tunisiennes aux particuliers a atteint 29,3 milliards de dinars à la fin de l’année 2024, en légère augmentation par rapport aux 28,7 milliards de dinars de l’année précédente.» Ce chiffre marque une augmentation de 569,3 millions de dinars par rapport à décembre 2023, où le montant s’élevait à 28,729 milliards de dinars.
Les crédits à la consommation ont atteint 5,010 milliards de dinars à fin 2024, contre 4,703 milliards en 2023, soit une progression de 307 millions de dinars.
Même si le taux d’intérêt appliqué par les banques est assez élevé, les familles tunisiennes continuent de s’endetter auprès des banques sans se soucier du coût des remboursements du crédit. Pour certains, c’est l’immédiat qui compte : exécution de travaux d’aménagement domestiques, dépenses pour un mariage, organisation d’un voyage ou d’un séjour à l’hôtel, rentrée scolaire et autres occasions nécessitant des dépenses obligatoires (comme les deux Aïds, le Jour de l’an, les vacances…).
«Je suis endetté, donc je suis»
C’est là le cogito qu’on peut attribuer à beaucoup de Tunisiens dont le salaire ne suffit pas à joindre les deux bouts et qui recourent aux crédits bancaires pour vivre convenablement, sinon à l’abri du besoin. Le crédit obtenu, il importe peu s’ils consacrent une bonne partie de leur budget au paiement des prêts divers qu’ils ont contractés. Et dire que parfois les deux conjoints ont chacun un crédit en cours ! Cette tendance à s’endetter auprès des banques chez les ménages tunisiens n’est pas récente, elle remonte déjà à plusieurs décennies, même si le rythme n’était pas régulier. D’ailleurs, il y a quelques années, une enquête menée par l’Organisation de Défense du Consommateur auprès de citoyens mariés et responsables sur l’ensemble du territoire national révélait que le taux de ceux qui se sont endettés au moins une fois dans leur vie dépasse les 85%. Selon la même étude, «40% des interrogés ont eu recours à l’emprunt plus de 3 fois, 45% sont endettés auprès de plus de deux organismes prêteurs, 55% ont eu des problèmes pour éponger leurs dettes et pour joindre les deux bouts suite à cette contrainte. Ils sont relativement nombreux (21%) à avoir renoncé à des besoins essentiels pour s’en acquitter. Pour la moitié des interrogés, le prêt (accordé par une banque dans 78% des cas) sert à acquérir un logement ou un lot de terrain pour y construire la maison familiale. Mais pour d’autres ménages (entre 20 et 40% des personnes interrogées), il permet de s’acquitter de certaines dépenses familiales de plus en plus lourdes ou bien de s’acheter des articles ménagers ou une voiture.»
Un mal nécessaire
Les facilités de prêt accordées notamment par nos banques ont fait qu’aujourd’hui, même les bébés qui ne sont pas encore venus au monde risquent de naître dans un foyer endetté. Déjà, avant qu’ils ne soient nés, leurs parents empruntent de l’argent pour supporter les frais de la grossesse, l’accouchement (de préférence dans une clinique privée, ameublement de la chambre du nouveau-né pour lui assurer un minimum de confort et de bonne hygiène. Le réflexe de l’endettement s’imposera plus tard à la nouvelle génération avant même que celle-ci n’atteigne sa maturité et ait de quoi honorer ses engagements financiers, puisque de jeunes étudiants, non boursiers, se trouvent souvent acculés à l’emprunt pour pouvoir poursuivre leurs études et subvenir à leurs besoins.
En fait, ce cercle vicieux infernal ne laisse pas beaucoup de choix à ceux qui n’ont que la formule du prêt pour s’en sortir. A tel point d’ailleurs que certains Tunisiens n’hésitent pas à obtenir un nouveau crédit dès que l’ancien prend fin. Parfois même, la banque leur accorde un nouveau crédit avant le remboursement du dernier crédit, à condition qu’ils s’acquittent de leurs anciennes dettes avant de jouir du nouveau crédit. Ce qui est paradoxal, bon nombre de Tunisiens cumulent à la fois crédit immobilier et crédit à la consommation, si bien qu’ils dépassent souvent les 40% autorisés au remboursement de la dette. C’est le règlement : le taux de remboursement d’un crédit bancaire ne doit pas dépasser les 40% du salaire de l’intéressé. Mais, il y a toujours des moyens détournés pour cumuler deux crédits. C’est que le Tunisien, en agissant de la sorte, semble vivre au-dessus de ses moyens, se trouvant souvent dans le rouge à la fin de chaque mois.
L’endettement est-il obligatoire pour tous ?
Normalement, l’endettement n’est pas obligatoire pour tous. Il est vrai que l’endettement peut être nécessaire dans certaines situations, comme pour financer un investissement important (achat d’une maison, création d’un projet, financement d’événements familiaux urgents…). Cependant, l’endettement excessif peut entraîner des difficultés financières et des risques importants. Il est donc important de bien évaluer sa capacité de remboursement avant de s’endetter et de ne pas dépasser un certain seuil d’endettement.
En effet, sans raison valable, il n’est pas toujours obligatoire de s’endetter pour vivre. Il est possible de gérer son budget personnel sans recourir à l’emprunt, en fonction de ses revenus et de ses dépenses. Mais certaines gens ne l’entendent pas de cette oreille ; elles sont souvent obligées d’y recourir à cause de la cherté de la vie et des besoins sans cesse croissants. En principe, l’endettement n’est pas une obligation, mais une option à considérer avec prudence en fonction de ses besoins et de sa capacité à gérer le remboursement des dettes. Devenu presque incontournable, l’endettement devient désormais un besoin presque vital pour la majorité des ménages tunisiens qui en usent sans modération pour pouvoir vivre dans des conditions plus ou moins normales et surtout, comme nous l’a confié un chef de famille : « Pour éviter de recourir aux voisins, aux collègues ou encore aux proches et amis en vue d’emprunter de l’argent, on préfère être débiteur à la banque que d’être en dette avec l’entourage ! »
Hechmi KHALLADI
