Faire les courses, la cuisine, la vaisselle, la lessive, sortir les poubelles… toutes ces tâches du quotidien sont généralement assumées par les femmes. 68 % des femmes font la cuisine ou le ménage chaque jour, contre 43 % des hommes. Le partage du travail domestique reste très inégalitaire, même si des avancées existent. « Qui prépare le repas du soir le plus souvent quand vous êtes ensemble ? », « Qui fait les courses le plus souvent ? » et « Qui passe le plus souvent l’aspirateur ? ». Dans le couple dit « traditionnel », la femme effectue elle-même les trois tâches, dans le couple paritaire , les deux s’impliquent de la même façon, et dans le couple moderne , la femme est moins. Au sein du couple, les travaux domestiques (travaux ménagers à l’intérieur et à l’extérieur du domicile et les soins apportés aux enfants et aux personnes âgées et/ou dépendantes) sont principalement à la charge de la conjointe.
« Tondre la pelouse, lancer le barbecue ou nettoyer la voiture, c’est lui. Faire les courses, préparer à manger et laver le linge, c’est moi… » Dans la famille de Nedra, 49 ans et mère de deux adolescents, le poids des tâches domestiques pèse largement sur ses épaules. Elle est loin d’être la seule dans cette situation. Dans chaque foyer, elles sont des millions à faire tourner silencieusement la roue du quotidien. Elles cuisinent, nettoient, soignent, accompagnent les enfants, veillent sur les aînés. Elles organisent, planifient, anticipent. Et pourtant, leur travail, aussi vital soit-il, demeure invisible, non rémunéré, et rarement partagé. Derrière chaque repas chaud, chaque vêtement propre, chaque enfant accompagné à l’école, se cache un labeur souvent ignoré, pourtant fondamental pour le bon fonctionnement de notre société. Ainsi, selon une récente étude menée par Oxfam en Tunisie en partenariat avec Afturd, les femmes passent entre 8 et 12 heures par jour à effectuer des tâches de soin non rémunérées, tandis que les hommes n’y consacrent que 4 minutes. Le déséquilibre est manifeste. Cette situation a un impact négatif sur l’accès des filles aux opportunités économiques et affecte également la santé et le bien-être des femmes. En moyenne, les femmes consacrent 3 à 4 heures par jour aux tâches domestiques (ménage, courses, soins aux enfants, etc.) contre 2h pour les hommes. À la maison, les hommes s’adonnent volontiers au bricolage, au jardinage et à s’occuper de Ce travail domestique a un coût, non seulement pour les ménages mais aussi pour l’Etat. L’étude budget-temps en Tunisie publiée par le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes Âgées, a révélé que le temps consacré aux travaux domestiques diffère selon le statut de la femme. Les femmes au foyer consacrent plus de 7h par jour au travail domestique, celles qui travaillent plus de 4h. Celles au chômage ou à la retraite plus de 5h et les étudiantes et élèves plus de 2h. Les femmes âgées entre 35 et 44 ans réservent près de 7h aux tâches ménagères contre moins d’une heure pour les hommes. L’enquête a relevé également que cette charge varie selon le statut matrimonial des femmes. Les femmes mariées passent ainsi deux fois plus de temps dans les activités domestiques que les femmes célibataires.En schématisant, les femmes s’occupent, au quotidien, des tâches les moins valorisées et les hommes de ce qui se voit et dure. L’égalité dans la sphère domestique est loin d’être atteinte alors qu’elle progresse dans l’univers professionnel. Les inégalités de partage des tâches au sein du foyer ont des répercussions dans bien d’autres domaines pour les femmes : elles les freinent dans la vie professionnelle comme dans l’engagement politique ou associatif.
Toujours une forte inégalité dans la répartition des tâches domestiques
Non, non, rien n’a changé, en tout cas en ce qui concerne le partage des tâches entre les hommes et les femmes. Ce sont toujours mesdames qui gèrent les courses, l’entretien de la maison, les enfants et les repas. 2/3 des femmes assurent toutes les tâches ménagères à la maison. Les femmes tunisiennes assurent plus de 90% du temps consacré aux tâches domestiques, soit en moyenne cinq heures par jour, contre seulement 43 minutes pour les hommes. Ce déséquilibre pèse lourdement sur leur accès à l’emploi, à la formation, à la participation à la vie publique. Il alimente les inégalités de genre dès le foyer .Les sociologues observent que tout se passe comme s’il existait dans les couples une division du travail plus ou moins consciente : celui qui gagne le plus en fait le moins à la maison, son temps professionnel étant plus rentable que son temps domestique.Le noyau dur des tâches réservées aux femmes : ménage, cuisine, entretien du linge, soins et suivi scolaire des enfants. Les hommes, eux, s’investissent plutôt dans le jardinage ou le bricolage, quand les courses et les loisirs familiaux font partie des activités les plus partagées.
« Pourquoi c’est moi qui fais tout ou presque à la maison ? » La question, fait grimacer Nadia, 41 ans, prof de maths dans un collège. Fatma, cadre dans une banque, raconte son désarroi : «. Ni mon mari, ni mes jeunes enfants ne m’aident dans la cuisine ou à table. Ils ne veulent pas prendre le relais ne serait-ce qu’un instant » dit-elle. « C’est un investissement fort, quotidien, non rémunéré, indispensable aux foyers. C’est un soutien essentiel de la stabilité familiale, permettant notamment d’économiser des coûts énormes en services extérieurs (garde d’enfants, ménage, cuisine, soutien scolaire, soin des personnes âgées…) mais reste non valorisé, non rémunéré, non reconnu et surtout rarement partagé au sein des foyers » explique Sonia, femme au foyer .
Sans risque de se tromper, on peut estimer que les femmes assurent une partie non négligeable du temps total consacré aux tâches domestiques par l’ensemble des femmes et des hommes. Malgré le fait que ce travail non rémunéré est indispensable au bien-être matériel des personnes et des foyers, il n’a jamais été estimé à sa juste valeur qui reconnaîtrait au moins à ces femmes une contribution essentielle de cette catégorie de la population à l’économie nationale.Empêtrées dans leur ambivalence, beaucoup de femmes ont des difficultés à déléguer, à lâcher du lest au nom de leur vision de l’ordre, de la propreté, de l’efficacité. Elles sont victimes de leur perfectionnisme :“Laisse, je vais le faire, ça sera mieux fait”, tout en se plaignant que le mari ne fait aucun geste à la maison.
Bref, il est urgent que les femmes acceptent enfin de partager aspirateur, fer à repasser et serpillière avec leur homme, et de le laisser faire à sa façon, sans l’accuser de bâcler.
Mais les enjeux de ce combat de tous les jours dépassent la sphère du couple. Les sociologues de la vie quotidienne estiment que la redistribution des rôles à la maison est une affaire publique, et même un enjeu politique, les inégalités ménagères étant à l’origine de toutes les autres. Les inégalités hommes-femmes dans le monde du travail trouvent en partie leur origine dans la répartition très déséquilibrée des tâches ménagères.Les contraintes professionnelles expliquent pour partie la situation. Les femmes sont plus souvent au foyer ou à temps partiel que les hommes. Mais le poids des normes et des stéréotypes reste aussi particulièrement fort. Cela évolue doucement mais c’est encore très ancré.Mais l’écart entre les hommes et les femmes quant aux tâches ménagères se réduit drastiquement, non pas parce que les femmes en font moins, mais tout simplement à cause de l’augmentation des salaires et du niveau de vie, de plus en plus de femmes délèguent à des services de livraison ou ménagers beaucoup de tâches ménagères. Même si l’égalité entre les femmes et les hommes progresse réellement dans le royaume, on comprend aussi la colère de ces femmes épuisées face à une société indifférente à leurs souffrances.
Changer les mentalités
Si les mentalités ne vont évidemment pas évoluer du jour au lendemain, il est possible de faire changer notre société en menant des campagnes de sensibilisation bien pensées, en impliquant le monde politique dans la question des inégalités domestiques et en élaborant des lois progressistes.De nombreux experts plaident pour des politiques publiques visant à changer les mentalités. Il faut agir sur plusieurs fronts, revoir l’organisation du travail pour favoriser l’investissement des hommes dans la vie familiale, en s’inspirant de l’exemple suédois. Comme un congé parental à partager obligatoirement entre père et mère. L’Islande, qui a mis en place un congé parental de neuf mois dont un tiers est réservé à la mère, un tiers au père et un tiers partageable entre les deux, avant les 18 mois de l’enfant, chaque partie étant perdue si elle n’est pas prise par son destinataire.Le modèle traditionnel inégalitaire, où la femme prend en charge la quasi-totalité des tâches domestiques, perd de la vitesse progressivement chez les jeunes, notamment avec l’élévation du niveau de diplôme.Plusieurs campagnes digitales, événements sportifs, théâtre itinérant, affichage urbain, création de contenus engagés (podcasts, vidéos, courts-métrages)…pour mesurer concrètement la charge domestique au sein des foyers. Ils donnent quelques astuces pour essayer de rétablir l’équilibre dans le partage des tâches et tenter de faire baisser la charge mentale qui pèse suffisamment lourd sur les épaules des femmes. Au-delà de la sensibilisation, l’ambition est claire : réduire concrètement d’au moins une heure par jour le temps que les femmes consacrent aux tâches domestiques dans les foyers ciblés, grâce à une meilleure répartition.Trois objectifs principaux structurent la démarche. Il s’agit de sensibiliser à grande échelle, en mobilisant la société civile et les communautés locales, renforcer les capacités des acteurs clés (enseignants, journalistes, associations…), et mesurer une réduction effective du temps domestique à travers des outilsCette initiative s’inscrit dans l’engagement des politiciens à faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes en Tunisie . En rendant visible le travail invisible, ils tentent de contribuer à déconstruire les stéréotypes et à poser les bases d’un nouveau contrat social au sein des foyers. Cette prise de conscience est également portée à l’échelle du parlement tunisien. Le parlement tunisien travaille actuellement sur un nouveau projet de loi concernant le partage des tâches ménagères entre les conjoints afin de changer l’image stéréotypée des rôles familiaux et de changer la mentalité des hommes pour assumer la responsabilité, en particulier dans l’éducation des enfants.Il ne s’agit plus de considérer les tâches domestiques comme une aide occasionnelle que l’on apporte, mais de remettre en question leur répartition inégale, en reconnaissant pleinement leur valeur et en les partageant de manière équitable au sein du foyer.
Le partage inégal du travail domestique en Tunisie n’est pas seulement un problème de foyer : c’est un enjeu social, économique et politique.Sans transformation culturelle profonde, sans politiques publiques adaptées et sans implication réelle des hommes, l’égalité restera un objectif lointain.Les hommes ont-ils vraiment envie d’en faire plus ? Ils n’ont pas trop intérêt à ce que les choses bougent. Ils ont tendance à invoquer des excuses : « J’allais le faire », « C’est compliqué pour moi de prendre congé, de partir plus tôt ».Par ailleurs, il observe que la société est ancrée dans des structures patriarcales difficiles à changer, comme lorsque l’école, en cas de problème, contacte la mère plutôt que le père. 83% des femmes réservent des rendez-vous médicaux pour les enfants. C’est le signe que la charge mentale est gigantesque et pèse sur les épaules des femmes . Nombre de sociologues et psychologues s’accordent sur le fait que les femmes doivent apprendre à lâcher prise si elles veulent que les corvées quotidiennes soient mieux réparties entre elles et leurs homologues masculins. Apprendre à accepter que les choses soient faites différemment, à la manière de celui qui les réalise, laisser son conjoint prendre sa part du quotidien sans le critiquer, l’infantiliser ou lui dire qu’il fait mal telle ou telle tâche sont quelques bons réflexes à adopter pour que son mari participe plus à la maison. Faire preuve de bonne volonté et de respect sont quelques autres clés à retenir pour l’avenir.Si les femmes doivent donc apprendre à lâcher du lest au quotidien, les hommes doivent en contrepartie prendre en charge la partie des tâches intellectuelles qui leur revient, et ne pas se contenter de sortir les poubelles ou tondre la pelouse.
Kamel BOUAOUINA
