Depuis le début de l’année 2025, la Tunisie fait face à une recrudescence inquiétante des accidents de la circulation. Les statistiques les plus récentes publiées par l’Observatoire national de la sécurité routière témoignent d’une tendance alarmante : en seulement huit mois, le nombre d’accidents a augmenté de près de 9% par rapport à l’année précédente. Cette évolution traduit un problème structurel et persistant qui continue de faire des centaines de victimes et de fragiliser encore davantage une société déjà confrontée à de multiples difficultés.
Les routes continuent d’arracher chaque jour des vies. Le 21 août dernier, en une seule journée, cinq collisions mortelles ont été recensées, causant la mort de six personnes et laissant trois autres blessées. Ces drames, qui se répètent avec une régularité effrayante, ne sont pas de simples faits divers isolés. Ils traduisent au contraire une réalité structurelle : la circulation en Tunisie reste extrêmement dangereuse, et les automobilistes, motocyclistes et piétons s’exposent quotidiennement à des risques élevés. Derrière ces chiffres froids se cachent des familles endeuillées, des enfants orphelins, des foyers bouleversés à jamais. L’accident de la route n’est pas seulement un événement ponctuel, c’est une tragédie qui provoque des traumatismes profonds et durables dans la société tunisienne.
La négligence, un facteur déterminant
Parmi les causes principales de cette recrudescence, l’inattention au volant occupe une place prépondérante. Les données montrent qu’une proportion considérable des accidents mortels est liée au manque de vigilance des conducteurs. Téléphones portables utilisés en conduisant, vitesse excessive, non-respect du code de la route ou, encore, fatigue accumulée sont autant de comportements qui mènent directement à la catastrophe. Depuis le début de l’année, cette négligence a coûté la vie à plus de deux cents personnes. Ce chiffre, déjà très élevé, ne reflète pas seulement des erreurs individuelles mais traduit un problème collectif : la culture de la prévention routière peine encore à s’ancrer en Tunisie, et les comportements dangereux restent largement tolérés dans la vie quotidienne.
Un fardeau économique et social colossal
La route n’emporte pas seulement des vies, elle génère aussi un coût économique abyssal. Selon les estimations communiquées par des spécialistes de la prévention routière, les pertes causées par les accidents de la circulation avoisinent les 8 milliards de dinars chaque année. Cela représente environ 5,6% du produit intérieur brut du pays, une proportion qui illustre à elle seule l’ampleur du désastre. Ce fardeau se traduit par des dépenses médicales lourdes, des pertes de productivité, des prises en charge sociales et une pression accrue sur le système de santé déjà fragilisé. Chaque accident mortel ou handicapant prive l’économie d’une force de travail, affaiblit des familles entières et accentue la vulnérabilité de couches déjà précarisées de la population.
Des infrastructures insuffisantes et mal entretenues
Au-delà du comportement des conducteurs, la qualité des infrastructures routières joue un rôle crucial dans cette hécatombe. Nids-de-poule, signalisation déficiente, éclairage insuffisant, absence de radars dans certaines zones accidentogènes et entretien limité des routes rurales sont autant de facteurs aggravants. Dans de nombreuses régions, particulièrement dans l’intérieur du pays, les routes demeurent étroites, mal balisées et dangereuses, accentuant le risque d’accident. Les grandes artères urbaines ne sont pas en reste : embouteillages permanents, non-respect des feux de signalisation et comportements anarchiques des usagers créent un climat chaotique qui favorise les collisions. Ces défaillances traduisent un manque criant d’investissement public et une absence de politique cohérente de prévention.
La nécessité d’une réponse collective
Face à cette situation, les appels à l’action se multiplient. Les experts en sécurité routière insistent sur l’urgence d’intensifier les campagnes de sensibilisation afin d’ancrer une culture de vigilance chez les conducteurs. Ces campagnes doivent cibler en particulier les jeunes, qui représentent une grande proportion des victimes, mais aussi les motocyclistes et les usagers des zones rurales, souvent les plus exposés.
Mais la sensibilisation seule ne suffira pas. Le renforcement du contrôle routier est indispensable pour dissuader les comportements dangereux. L’application stricte du code de la route, la multiplication des radars et le durcissement des sanctions en cas de récidive constituent des leviers essentiels. Dans le même temps, l’amélioration des infrastructures, notamment par l’entretien des routes secondaires et la modernisation des axes principaux, doit devenir une priorité nationale.
Vers une stratégie nationale de sécurité routière ?
La Tunisie ne pourra pas se permettre indéfiniment de perdre chaque année des centaines de vies et des milliards de dinars dans un fléau qui reste en grande partie évitable. La mise en place d’une stratégie nationale ambitieuse et durable de sécurité routière s’impose. Celle-ci devrait reposer sur trois piliers : prévention, contrôle et amélioration des infrastructures. Sans une telle approche intégrée, les efforts resteront fragmentés et inefficaces. Il ne s’agit pas seulement d’une question technique mais d’un choix de société. La route ne doit plus être perçue comme un espace anarchique où chacun agit selon ses propres règles. Elle doit devenir un lieu où la sécurité collective prime. Ce changement culturel ne pourra s’opérer que par un engagement fort de l’État, des collectivités locales, de la société civile et des citoyens eux-mêmes.
En définitive, la recrudescence des accidents de la route en 2025 met en lumière les fragilités profondes de la société tunisienne. Elle interroge la capacité des institutions à protéger la vie de leurs citoyens, mais elle interpelle aussi chacun sur ses propres comportements. Conduire avec vigilance, respecter les règles, entretenir son véhicule, éviter la vitesse et les distractions ne sont pas des gestes anodins, ils constituent des actes de responsabilité civique.
Si les tendances actuelles se poursuivent sans changement majeur, la Tunisie risque de s’enfoncer davantage dans une spirale où la route restera synonyme de deuil et de perte. A l’inverse, en plaçant la sécurité routière au cœur des priorités nationales, le pays pourra sauver des centaines de vies chaque année et libérer des ressources considérables pour son développement. En somme, l’urgence est là : faire des routes tunisiennes un espace plus sûr n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale.
Leila SELMI
