Le prix du «panier de la ménagère», qui désigne l’ensemble des biens et services les plus courants utilisés pour calculer l’évolution du coût de la vie et du niveau des prix, a enregistré une augmentation de 21% entre septembre 2022 et la période actuelle.
Le panier de la ménagère est un échantillon type de produits et de services (produits alimentaires, prêt à porter, soins de santé, transport, enseignement, loisirs, etc.) représentant la consommation d’un foyer.
Dans le détail, les prix de l’habillement & chaussures ont enregistré la plus forte hausse durant les 35 derniers mois, suivis par les produits alimentaires (+ 37%), les services de restauration & hôtels (31%), les produits alimentaires (28%), les soins de santé (17%), les frais de scolarité (17%) et les frais de transport (14%).
La hausse du prix du panier de la ménagère ne découle pas uniquement d’une augmentation des coûts de production comme les matières premières ou les salaires (inflation par les coûts), d’une politique monétaire qui stimule la création monétaire et de chocs sur l’offre dus à des crises (guerre en Ukraine, crise au Proche-Orient.), qui ont renchéri les cours internationaux des matières premières, de l’énergie et des produits finis et provoqué ce que les économistes appellent l’inflation importée.
Dans le contexte local, l’envolée du prix du panier de la ménagère s’explique aussi par la spéculation commerciale et les pratiques monopolistiques auxquelles se livrent certains acteurs économiques, notamment dans le domaine de la distribution des produits alimentaires.
Les pratiques monopolistiques désignent les agissements d’une entreprise unique ou dominante sur un marché, visant à exercer un pouvoir exclusif de production ou de distribution et à limiter la concurrence. Elles se manifestent par une volonté de contrôler le marché, comme l’éviction des concurrents, et se retrouvent dans des situations de monopole (un seul offreur) ou de concurrence monopolistique (plusieurs entreprises avec des produits différenciés).
La spéculation commerciale est, quant à elle, l’achat et la vente de biens, de marchandises dans le but de réaliser un profit rapide grâce aux fluctuations des prix du marché.
Le Président de la République Kaïs Saïed, s’en est d’ailleurs ému lors d’une réunion du Conseil des ministres tenue vendredi matin au Palais de Carthage, lorsqu’il a indiqué que les anciennes approches en matière de circuits de distribution n’ont pas abouti à de bons résultats, tout en soulignant la nécessité d’adopter une nouvelle approche qui doit mettre fin à la spéculation commerciale et aux situations de monopole.
La classe moyenne s’étiole
La hausse du coût de la vie a contribué au rétrécissement de la classe moyenne. Socle de toute société politiquement stable et économiquement prospère, cette classe subit depuis plus de trois décennies les contrecoups de la dégradation de la situation économique consécutive à une succession de plusieurs chocs endogènes et exogènes, tels que la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, la vague de sécheresse prolongée ou encore la hausse des prix internationaux des produits énergétiques et des denrées alimentaires. Ces divers chocs parfois concomitants et interalliés ont accentué le bouleversement de la pyramide sociale entamé au milieu des années 80 du siècle dernier avec la mise en œuvre du Plan d’ajustement structurel, qui a réorienté la politique économique vers une réduction du poids de l’État au profit du marché et du secteur privé.
La classe moyenne s’est en effet érodée petit à petit au profit d’une petite minorité de riches et d’une majorité de pauvres. De nombreuses catégories socioprofessionnelles comme les commerçants, les fonctionnaires, les artisans et les petits agriculteurs, les cadres moyens ont basculé dramatiquement dans la pauvreté sous l’effet d’une inflation rampante.
Selon les dernières estimations du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), la classe moyenne est passé de 84% en 1984 à 70% en 2010 et à 50% en 2018. En l’absence de statistiques plus récentes, ce taux aurait nettement chuté pour s’établir à moins de 40% actuellement, selon plusieurs experts.
L’économiste Baccar Gherib estime que l’étiolement de la classe moyenne a, en réalité, commencé en 1986, quand la politique sociale de l’État en matière de subventions, d’allocations, d’aides, est passée de générale à ciblée. «La classe moyenne a été lésée par l’inflexion de la politique sociale, le ciblage des plus défavorisés depuis la mise en œuvre du Plan d’ajustement structurel (PAS) et l’approfondissement du choix libéral axé sur les exportations, durant les années 1990. Cette période a vu, de même, la prolifération des contrats à durée déterminée (CDD) aux dépens des contrats à durée indéterminée (CDI), ce qui fragilise encore plus le salariat», a-t-il souligné.
Selon le même économiste, le phénomène aux effets déstabilisateurs les plus importants pour la classe moyenne est le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur. Une étude réalisée conjointement par la Banque mondiale et le ministère de l’Emploi montre que, trois ans après l’acquisition de leur diplôme, 45% des jeunes diplômés tunisiens se trouvent encore au chômage.
Walid KHEFIFI
