Par Raouf KHALSI
Pénurie (ou manque) de médicaments : thème particulièrement sensible et qu’il faut savoir traiter sous différents angles. C’est qu’il suscite beaucoup d’interprétations passionnelles, comme lors de ces dernières semaines, interprétations qui, pour la plupart, charrient beaucoup de subjectivité.
Il aura simplement fallu que le ministère de la Santé appelle à la rationalisation de l’utilisation des médicaments pour que la toile s’enflamme. A l’ère des réseaux sociaux et de tous les prétextes et tous les narratifs subversifs, cet appel est donc devenu « viral ». Les fondements « rationnels » de cet appel sont détournés de leur objectif : la sensibilisation.
En l’occurrence, on a vu surgir sur la toile un ancien PDG de la Pharmacie centrale (c’est du réel malheureusement) où il étalait une orthodoxie qu’il présentait comme étant internationale et dans laquelle il s’étendait copieusement sur des anticipations sur la mort « irréversible » des nonagénaires atteints de cancer. Pour lui c’est simple : les laisser mourir, ne pas les traiter et réserver les prises en charge pour les plus jeunes. Comptabilité glaciale et mécanique !
Pour autant, l’appel du ministère à rationaliser l’utilisation des médicaments était presque concomitant avec les complaintes d’un jeune atteint du cancer et dont le dossier de prise en charge aurait été rejeté par la CNAM. C’est là aussi un point à élucider.
Or, il se trouve que cette pénurie est due à un implacable lien de causes à effets.
Thouraya Ennaifer, secrétaire générale du Conseil de l’Ordre des pharmaciens a expliqué justement hier ce lien qui finit par tourner en cercle vicieux.
C’est que la Pharmacie centrale connait un problème de liquidité dans l’importation de médicaments pour le traitement de maladies thyroïdiennes, psychiatriques et cancéreuses. La Pharmacie centrale déplore par ailleurs des impayés auprès de la CNAM : le cercle commence à se refermer. La CNAM elle-même déplore à son tour des impayés auprès des hôpitaux. Le cercle (vicieux) se referme inexorablement avec la crise de l’industrie pharmaceutique en Tunisie, industrie couvrant les 70% des besoins du marché. Les laboratoires privés soulèvent à leur tour le problème de la flambée mondiale des prix des matières premières , en plus des difficultés d’ordre bureaucratique pour l’obtention de permis pour la fabrication de nouveaux médicaments. L’ennui c’est que ces mêmes fabricants locaux ne déclarent pas leurs stocks. Laboratoires internationaux/ laboratoires nationaux : voilà, donc, que la Pharmacie centrale navigue à vue.
Et la boucle est bouclée !
Il n’empêche : rationaliser le recours aux médicaments est un acte citoyen, comportemental qui procède d’une prise de conscience générale. Mais cet acte doit être adossé à une campagne de sensibilisation dans les règles, et cela implique plus les praticiens que les patients eux-mêmes.
Quant à la contrebande qui achemine des médicaments vers des pays voisins, eh bien là c’est toute une autre histoire…
