La Tunisie a exporté environ 252,7 mille tonnes d’huile d’olive durant les dix premiers mois de la campagne oléicole 2024-2025 (novembre-août), selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri). 85,3% de ces volumes ont été exportés vers les marchés internationaux, dont notamment ceux de l’Union européenne, en vrac.
Les recettes totales engrangées ont atteint quelque 3,3 milliards de dinars, dont 79% provenant de l’huile d’olive en vrac. L’huile d’olive conditionnée a ainsi représenté 14,7% des quantités exportées, et 21% des recettes.
L’exportation de l’huile d’olive tunisienne en vrac constitue, de ce fait, un manque à gagner significatif, car cet «or vert» est vendu à bas prix à des pays concurrents comme l’Italie et l’Espagne.
Ces derniers conditionnent l’huile tunisienne sous leurs propres marques et la revendent à des prix bien supérieurs sur les marchés internationaux. Résultat : une perte considérable pour l’économie tunisienne en termes de valeur ajoutée, d’image de marque et de revenus pour les producteurs locaux.
Riche, fruitée, appréciée des connaisseurs pour ses qualités organoleptiques exceptionnelles, l’huile d’olive tunisienne a pourtant tout pour rivaliser avec les huiles européennes les plus prisées. Malgré cela, elle reste quasiment invisible dans les rayons des supermarchés internationaux, car vendue sous étiquettes italiennes ou espagnoles.
Cette dépendance au vrac entraîne une perte économique estimée à plusieurs milliards de dinars chaque année. Alors que le litre d’huile tunisienne exporté en vrac est vendu entre 8 et 10 dinars, le même litre conditionné et étiqueté à l’étranger peut atteindre jusqu’à 30 dinars sur les marchés européens ou nord-américains.
35 unités de conditionnement seulement !
Outre le manque à gagner pour les différents acteurs de la filière oléicole et les caisses de l’Etat, cette situation freine le développement de l’industrie locale de transformation, limite la création d’emplois et empêche la Tunisie de construire une véritable identité de marque autour de son huile d’olive.
La filière d’huile d’olive constitue pourtant un pilier de l’économie tunisienne, en raison de ses dimensions économiques et sociales. En plus des recettes en devises qu’elle rapporte (5 milliards de dinars durant la campagne 2023/2024), le secteur fait travailler de très nombreuses familles et procure plus de 40 millions de journées de travail/an d’une façon permanente ou occasionnelle et à des effets d’entraînement sur d’autres secteurs productifs. Les superficies des oliviers couvrent en Tunisie plus de 66% des terres agricoles, soit l’équivalent de 1,9 million d’hectares comptant plus de 100 millions de pieds, ce qui confère à la Tunisie le deuxième rang mondial au niveau des plantations.
La filière huile d’olive compte plus de 1800 unités d’extraction d’huile d’olive, 10 unités d’extraction d’huile de grignons, 13 unités de raffinage d’huiles, une centaine d’exportateurs agréés en plus de l’Office National de l’Huile (ONH), mais 35 unités de transformation et de conditionnement seulement !
Investir dans le conditionnement et le marketing
Plusieurs facteurs obligent à ce jour les acteurs de la filière à exporter en vrac, dont le manque d’infrastructures modernes de mise en bouteille et de stockage, le faible soutien à la labellisation, au marketing et à l’export de produits finis, les difficultés d’accès aux marchés internationaux pour les petites et moyennes entreprises (PME), l’insuffisante reconnaissance de l’origine tunisienne de l’huile sur les marchés étrangers et la forte concurrence des grandes marques originaires de l’Union européenne (UE), qui bénéficient de subventions prévues par la Politique agricole européenne commune (PAC).
Pour améliorer la valeur ajoutée locale de la filière huile d’olive et mettre fin à ce grand bradage, le gouvernement doit plus que jamais encourager les investisseurs privés et l’Office National de l’Huile à moderniser et étendre les capacités locales d’embouteillage et de conditionnement répondant aux normes internationales (traçabilité, certifications, design attractif, etc.), tout en veillant à la création de marques nationales fortes bénéficiant de certifications par des organismes internationaux et d’appellations d’origine contrôlée (AOC) et au soutien de la promotion de ces marques tunisiennes d’huile d’olive à l’international, avec une stratégie marketing et de branding axée sur la qualité, l’authenticité et l’origine.
Les décideurs gagneraient également à encourager les exportateurs à vendre davantage d’huile conditionnée grâce à des avantages fiscaux, des subventions à l’export ou des aides à la certification, et à former les oléiculteurs et les coopératives aux exigences du marché mondial, notamment en matière de qualité, de normes sanitaires et de packaging.
Des efforts en matière de diplomatie économique ciblée sont également nécessaires pour promouvoir l’huile d’olive tunisienne à travers les ambassades, les foires internationales et les accords commerciaux bilatéraux pour ouvrir de nouveaux marchés, notamment dans des régions jusque-là largement inexplorées comme l’Asie (Japon, Chine, Corée du Sud, etc.), les pays nordiques (Danemark, Finlande, Norvège, Suède, etc.), l’Australie et l’Afrique subsaharienne.
Walid KHEFIFI
