Par Raouf KHALSI
On revient décidément vers Gramsci, le célèbre oxymore de Gramsci. Vers cette figure de style qui allie deux «Faits» de sens contraire, ou alors deux mondes. Le vieux monde qui se meurt et le nouveau monde qui tarde à apparaître. La dialectique ne s’opère pas. Et, entre-temps, Gramsci met en figure les monstres qui surgissent dans ce clair-obscur.
Dès lors, c’est l’Histoire qui se fige. Elle est encore interdite face à l’ampleur des tentacules du «vieux monde». Quelque part, elle est aussi désacralisée. Elle balbutie. Refuse sa propre défatalisation.
Le formidable sursaut du 14 janvier 2011 aura vite fait de retomber en mélancolie et en perdition existentielle. On avait cru tout faire : anoblir les misérables, récompenser les jeunes, relancer l’Etat sur des bases égalitaires. Mais ce fut un leurre. La Révolution du jasmin née à Tunis aura fait long feu. Sous les dalles, point de mer ! Tant pis pour les fantassins, tant pis pour les rêveurs, bienheureux les négationnistes. Les nuées orageuses se sont dissipées. Le jasmin s’est fané et, subrepticement, un ordre nouveau (pas le nouveau monde) s’est installé. Le peuple ravalera sa révolution.
Or, ce monde nouveau n’aura tenu que l’espace d’une décennie. Qu’est-ce que, finalement, une décennie dans l’histoire des peuples ? Mais c’était juste ce qu’il fallait pour que les «monstres» (Gramsci encore) fassent leur œuvre. Mettre à genoux le pays, installer de nouvelles pratiques, prendre en otage le peuple et déstructurer toutes les institutions pour mieux asseoir un Etat d’apparence civil, mais dont les tentacules souterraines s’étendent à l’infini… Jusqu’à ce que l’Histoire (elle est là) sorte de sa torpeur. Fin de cycle. Mais pas encore la dialectique. Le nouveau monde tarde donc à apparaître.
Mais alors, comment juguler les tentacules de cet Etat profond et comment anéantir la piovra ? Comment en finir avec ce clair-obscur ? Cela, c’est maintenant clair, suppose la totale déconstruction de cet Etat profond et d’en démanteler les leviers.
Parce qu’il ne faut pas obstruer l’Etat réel, celui qui est maintenant bâti sur le sens de l’ascèse. L’émanation et l’expression de la vox populi : toute la quintessence est là. La souveraineté nationale et l’esprit des lois.
C’est tracé et c’est irréversible. Et ce ne sont pas des relents donquichottesques, mais un dû restitué au peuple. Maintenant, les monstres, on les connaît, et ce n’est pas de la fantasmagorie.
