Le système éducatif tunisien compte désormais 1412 établissements primaires et secondaires privés autorisés, selon des données publiées par le ministère de l’Education à l’occasion de la rentrée scolaire. Dans le détail, il s’agit de 811 écoles primaires privées contre 774 écoles en 2024. La répartition géographique de ces écoles montre une forte concentration dans le Grand Tunis. La capitale tient le haut du pavé avec 125 écoles, suivie du gouvernorat de Ben Arous (82 établissements) et de l’Ariana (66 écoles). La densité des écoles primaires privées est moyenne dans les autres régions côtières, et faible dans les régions intérieures, les gouvernorats du Kef et de Tataouine ne comptant que 3 écoles primaires privées chacun.
Le nombre des collèges et des lycées autorisés s’élève, quant à lui, à 601 en 2025, contre 584 recensés en 2024.
Tunis arrive en tête de liste avec 56 établissements, devant les gouvernorats de Sousse (50) et de Ben Arous (45). Siliana et Tataouine comptent les plus faibles nombres de collèges et de lycées privés, avec respectivement six et cinq établissements seulement.
La privatisation rampante de l’enseignement est directement favorisée par le déclin de l’école publique qui peine à remplir sa mission et ne fait plus rêver les familles, contraintes de se tourner massivement vers les établissements privés qui offrent une meilleure qualité d’enseignement, avec des classes moins surchargées, une meilleure infrastructure et un suivi plus personnalisé des élèves.
La plupart de ces écoles, collèges et lycées privés misent également sur l’apprentissage numérique, l’enseignement intensif des langues étrangères, les activités parascolaires (club de langues, robotique, danse, etc.) et la garde des enfants après les heures de cours pour garantir un meilleur niveau pour les élèves et un plus grand confort pour les parents.
Les familles qui cherchent à assurer un avenir meilleur à leurs enfants, ne lésinent pas sur les moyens pour inscrire leur progéniture dans des écoles privées, où les frais de scolarité varient entre une moyenne 400 dinars par mois dans les quartiers populaires et 1500 dinars dans certains quartiers huppés de la capitale.
La majorité des familles tunisiennes appartenant à la classe pauvre et à la classe moyenne inférieure ne peut pas ainsi s’offrir le luxe d’inscrire ses chères têtes brunes dans ces écoles. Cela engendre une fracture sociale de plus en plus marquée et un système éducatif à deux vitesses, où la qualité de l’éducation dépend des moyens financiers des parents, au lieu d’être un droit fondamental garanti à tous.
La triade sacrée «publique, obligatoire et gratuite» qui caractérisait historiquement l’école tunisienne a perdu de sa superbe.
La ruée des familles vers les écoles privées constitue avant tout une réponse à la défaillance de l’école publique. Parmi les problèmes qui reviennent chaque année dans les établissements publics, on peut notamment citer les grèves fréquentes des enseignants, qui ne sont pas seulement des manifestations de mécontentement mais un véritable symptôme d’un malaise profond au sein du système éducatif. Les enseignants, mal rémunérés et souvent dévalorisés, se retrouvent dans une position où leur engagement envers la qualité de l’enseignement est difficile à maintenir.
L’Etat doit revoir ses priorités
Le manque d’infrastructures adéquates est également un facteur qui contribue à la dégradation de l’école publique. Des bâtiments scolaires vétustes, des classes surchargées et des équipements obsolètes font partie du quotidien de nombreux élèves. A cela s’ajoutent la hausse de la violence et le manque d’enseignants.
Dans un rapport publié durant l’année scolaire écoulée, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de l’enseignant, le Syndicat général de l’enseignement de base avait déjà alerté sur «la mort programmée de l’école publique». Précisant que 96% des établissements ont été construits avant 1980, ce syndicat rattaché à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a pointé un délabrement inquiétant des infrastructures scolaires : absence d’eau potable dans 461 écoles, couverture Internet absente dans plus de 50% des écoles dans 15 gouvernorats, blocs sanitaires absents ou inutilisables dans 1178 écoles, absence d’espaces réservés aux enseignants dans 615 établissements.
Côté ressources humaines, la situation n’est guère plus reluisante. Le manque d’enseignants est devenu criant, dans la foulée du gel des recrutements dans la fonction publique. Avec des moyennes d’un seul inspecteur pour 100 enseignants et un assistant pédagogique pour 75 instituteurs, l’encadrement pédagogique laisse aussi à désirer.
Le syndicat général a d’autre part déploré l’absence de toute vision réformiste au niveau du ministère de l’Education. «Les programmes restent très chargés et la grille d’évaluation des acquis des élèves est on ne peut plus alambiquée», a-t-il précisé, tout en tirant la sonnette d’alarme sur l’absence quasi totale de tout accompagnement psychologique et social des apprenants, l’absence de ressources allouées aux activités culturelles et sportives et la hausse des violences visant le corps enseignant dans le milieu scolaire.
Face à cette situation, il est urgent de prendre des mesures pour sauver l’école publique de la décrépitude. D’abord, l’État doit revoir ses priorités et investir davantage dans l’éducation. Cela passe par une augmentation substantielle du budget alloué à l’Education (6% du PIB seulement en 2024), une amélioration des infrastructures scolaires et la mise à disposition de matériels pédagogiques modernes. De plus, il est crucial de revaloriser les salaires des enseignants pour attirer et retenir les talents.
L’école publique doit aussi sortir de son modèle traditionnel et s’adapter aux besoins du 21e siècle et aux nouveaux codes de la société moderne. Il est indispensable de revoir les méthodes pédagogiques, d’intégrer les nouvelles technologies et d’encourager l’innovation en matière d’enseignement. Cela permettrait non seulement de dynamiser l’apprentissage, mais aussi de susciter l’intérêt des élèves, en les préparant mieux aux défis du futur.
Enfin, il est important que l’école publique, qui a joué un rôle clé dans la formation des élites tunisiennes depuis l’indépendance, soit un lieu d’inclusion et d’égalité et retrouve sa fonction d’ascenseur social. Des mesures doivent être prises pour garantir l’accès à l’éducation pour tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales. Cela pourrait passer par l’instauration de bourses d’études, d’aides pour les familles défavorisées et de programmes de soutien scolaire pour les élèves en difficulté.
Walid KHEFIFI
