Chaque automne, avec le retour des pluies, la même inquiétude ressurgit en Tunisie, celle des inondations. Dans plusieurs régions, les épisodes pluvieux, parfois intenses, provoquent des débordements qui paralysent la circulation, endommagent les habitations et fragilisent les infrastructures publiques. À l’approche de la saison des pluies 2025, le gouvernorat de Monastir semble avoir pris une longueur d’avance en matière de prévention. Mais ce qui est entrepris dans cette région devrait inspirer les autres grandes villes du pays, afin d’éviter que les mêmes scènes de chaos ne se répètent d’une année à l’autre.
Dans différentes municipalités du gouvernorat de Monastir – de la ville éponyme à Khniss, en passant par Zawiet Kantach, Lamta, Bennane, Ksibet el-Mediouni et Jemmal – plusieurs projets de protection contre les inondations ont été lancés pour un coût global dépassant 50 millions de dinars.
Certains chantiers, notamment ceux de Monastir, Khniss et Zawiet Kantach, affichent un taux d’avancement supérieur à 90%. Ces projets, supervisés par la Direction générale des eaux urbaines relevant du ministère de l’Équipement, incluent le curage d’oueds, le nettoyage de points de collecte et le renforcement des canaux d’évacuation. En parallèle, les municipalités locales poursuivent régulièrement des opérations de curage des « points noirs » et de nettoyage des réseaux d’évacuation. L’objectif est clair : limiter les risques de débordement, améliorer la capacité d’absorption des infrastructures et éviter que les fortes pluies ne se traduisent systématiquement par des dégâts matériels et des perturbations dans la vie des habitants.
Un fléau récurrent dans les grandes villes
Les inondations urbaines ne sont pas une fatalité, mais elles sont devenues presque habituelles dans plusieurs grandes villes tunisiennes. À chaque automne, Tunis, Sfax, Sousse, Nabeul ou encore Bizerte connaissent des épisodes où la pluie, tombant parfois en quelques heures seulement, submerge des quartiers entiers. Les conséquences sont souvent les mêmes : routes bloquées, voitures coincées, commerces endommagés et parfois pertes humaines. Ces situations révèlent les limites d’un système de gestion des eaux pluviales qui n’a pas été suffisamment modernisé au fil des décennies. Les réseaux, souvent construits il y a plusieurs dizaines d’années, n’ont pas été conçus pour absorber les volumes d’eau actuels, amplifiés par le changement climatique et l’urbanisation croissante.
Le changement climatique accentue les risques
Les experts en climatologie rappellent que les épisodes pluvieux en Tunisie tendent à devenir plus violents et plus concentrés. Autrement dit, la même quantité de pluie peut tomber en quelques heures seulement, saturant immédiatement des réseaux d’évacuation insuffisants. Face à cette réalité, l’adaptation devient une nécessité. Les autorités locales ne peuvent plus se contenter d’interventions ponctuelles après chaque catastrophe. La mise en place d’infrastructures résilientes, capables d’anticiper et d’absorber ces chocs climatiques, est une urgence nationale.
L’approche adoptée à Monastir – combiner grands projets d’aménagement et opérations régulières de curage et de nettoyage – illustre une stratégie proactive qui mérite d’être reproduite ailleurs. Trop souvent, dans d’autres villes, les autorités attendent que les dégâts surviennent avant d’engager des réparations. Or, chaque dinar investi dans la prévention représente des économies considérables en termes de reconstruction, de réparation et de pertes économiques évitées. Dans ce sens, les grandes agglomérations du pays devraient adopter un plan annuel de gestion des eaux pluviales, avec des budgets alloués à la fois aux grands chantiers et aux interventions de maintenance. Les municipalités pourraient aussi s’inspirer du modèle de suivi à Monastir, où la supervision directe des services techniques et du ministère permet de maintenir une dynamique de travail continue.
Toutefois, si l’État et les municipalités ont un rôle clé, la population doit aussi être impliquée. Trop souvent, les réseaux d’évacuation sont obstrués par des déchets jetés dans la rue. La sensibilisation des citoyens à la nécessité de protéger les canalisations et de respecter les règles de propreté est un complément indispensable aux efforts techniques. À Monastir, plusieurs campagnes locales de sensibilisation ont accompagné les travaux, ce qui montre que la prévention des inondations est aussi un travail collectif.
Un enjeu de gouvernance
La réussite de la prévention des inondations ne dépend pas seulement de la technique ou des budgets, mais aussi d’une meilleure gouvernance. Cela suppose une coordination entre les ministères de l’Équipement, de l’Intérieur, des collectivités locales, ainsi que les municipalités. Il faut également que les projets soient conçus avec une vision à long terme, et non comme des réponses ponctuelles à chaque catastrophe. Le cas de Monastir montre que lorsqu’il y a une planification claire et des ressources mobilisées, les résultats sont tangibles. Mais si ce modèle reste isolé, le reste du pays continuera de subir les conséquences d’une gestion insuffisante. La saison pluviale n’est pas une surprise. Chaque année, elle revient, avec son lot de menaces pour les villes tunisiennes. La différence se joue dans la capacité des autorités à anticiper. L’exemple de Monastir démontre que des travaux structurés, associés à une maintenance régulière, peuvent réduire considérablement les risques d’inondation.
Il est désormais temps que cette approche devienne une politique nationale, étendue à toutes les grandes agglomérations. Car si les pluies sont inévitables, leurs conséquences dévastatrices, elles, peuvent être largement évitées. La prévention doit cesser d’être une option : elle doit devenir la règle, afin de protéger les citoyens, préserver les infrastructures et garantir une meilleure qualité de vie dans les villes.
Leila SELMI