Par Raouf KHALSI
Controverse passionnelle, sinon épidermique et finalement futile que celle provoquée par cette affaire de prière dans la cour du lycée Mohamed-Boudhina à Hammamet. Elle aura néanmoins mis le feu sur les réseaux sociaux, devenant ainsi fatalement virale. Une traînée de poudre en effet, puisque les élèves du lycée ont boycotté les cours hier et manifesté en masse devant le lycée, en solidarité avec une élève déférée devant le conseil de discipline pour avoir «ri». Il est vrai que la directrice de l’établissement aurait dû être moins arrogante envers la mère de l’élève.
Mais le problème n’est pas là. La directrice s’est en effet interposée contre la décision de quelques jeunes élèves d’accomplir leur prière dans la cour de l’école. Du coup, les passions s’exacerbent entre nihilisme (idéologie qui rejette toute croyance et qui refuse toute contrainte sociale) et maximalisme (c’est-à-dire, les extrêmes) et, au milieu, le relativisme, dans l’esprit de son instigateur Emmanuel Kant.
La controverse enfle, en effet, parce que qu’un vieux réflexe épidermique a fait qu’on est allé trop vite en besogne en criant au loup.
Parce qu’on y a vu par extrapolation, un poison sociétal distillé par une certaine «doctrine» nahdhaouie. Dans la proportion des jeunes qui voulaient faire leur prière dans la cour de l’école, on a prétendument décelé un «embrigadement religieux», parce qu’entre autres, on s’est gravé dans l’esprit ce que révélait la «colombe» nahdhaouie, Abdelfattah Mourou, à son «maître» Al-Qaradhaoui en lui disant qu’Ennahdha n’avait pas besoin des adultes, mais de leur progéniture ! Et hop : on crie au loup !
Si l’on demandait à ces jeunes élèves s’ils connaissent Mourou ou Al-Qaradhaoui, ils diront non.
Au-delà de cet incident (parce que ce n’est rien d’autre), le discours s’élargirait. Existe-t-il de dualité (ou de contradiction) entre la dimension spirituelle de la religion (c’est-à-dire l’intériorité du culte) et la gestion des affaires publiques basée sur les droits et devoirs des citoyens dans le cadre de l’Etat civil ? La réponse est non.
Comment, par ailleurs, interpréter la réponse d’un élève à la directrice lui rétorquant que la cour est aussi terre de Dieu ? Précisément, il ne faut pas chercher Dieu ailleurs que partout. Les élèves auraient donc pu trouver un autre endroit.
On lit un peu partout, ces jours-ci, qu’il y va de la laïcité de l’école qui doit rester «neutre». Oui, mais à l’école, on dispense aussi des cours d’éducation civique et religieuse depuis l’indépendance. L’école tunisienne, c’est aussi la dimension du savoir universel. Parce que, justement (pour rester dans la sphère religieuse), la toute première injonction divine adressée au prophète Mohamed est «Iqra» («Lis») tirée de la sourate Al-Alaq. Plus que toutes les religions du monde, l’islam prône le savoir et les sciences. Pas l’obscurantisme.
Et c’est l’essence même de la dimension anthropologique de la religion en Tunisie. Sur ce plan, nous en avons historiquement à revendre. Car l’Université Zitouna (la première dans le monde arabo-musulman) a été fondée dès l’an 737 : on y dispensait (jusqu’aujourd’hui) l’enseignement religieux, le Coran, les sciences, la jurisprudence de rite malikite et le hadith. Ce ne sont pas les poisons de l’outrance du parti islamiste qui vont effacer ce monument.
Il reste maintenant à redéfinir le statut de l’école et, aussi, à établir les canaux du dialogue avec ces jeunes. Que dit la loi, oui en effet ? Quelle proportionnalité ? Quel relativisme ?
