La Tunisie a toujours été considérée comme étant un pays bilingue : à côté de la langue arabe, le français est officiellement présent dans notre pays depuis 1881, date du début de la colonisation française et sera consolidée depuis l’indépendance en 1956 en tant que langue seconde, adoptée dans l’enseignement, l’administration ainsi que dans les échanges et les documents officiels. De même, son appartenance à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIT) montre bien que la Tunisie œuvre depuis toujours, à travers ses programmes scolaires et culturels, à la promotion de la langue française, comme tous les pays membres de cette organisation.
Cependant, depuis quelque temps, le français semble perdre du terrain chez nous et devenir carrément une langue étrangère, tout comme les autres langues étudiées dans nos établissements scolaires et nos facultés (espagnol, allemand, italien, japonais, chinois…). Abstraction faite du statut dont jouit la langue française en Tunisie, peut-on encore parler d’un pays francophone où le niveau de cette langue chez nos élèves et dans les institutions officielles a baissé d’une manière vertigineuse depuis quelques années ?
Etat des lieux
Il n’y a aucun doute que la langue française est en perte de vitesse dans notre pays, chez les jeunes en particulier. Elèves et étudiants trouvent de plus en plus de difficultés à suivre des cours dispensés en français. En effet, depuis plusieurs années, on note que des milliers de candidats au baccalauréat obtiennent un zéro à l’épreuve de français. Cela ne doit pas nous surprendre, car depuis l’arabisation de l’enseignement instituée dans les années 80, cette langue n’a cessé de reculer dans notre système éducatif, mais aussi au profit de la langue anglaise qui s’impose de plus en plus dans nos écoles et dans notre société, en tant que langue internationale.
Aujourd’hui, il n’y a que des adultes ou des personnes âgées qui lisent encore les romans et les journaux et écoutent les informations du télé-journal en langue française. Que s’est-il passé pour que le français soit relégué au second plan dans nos écoles ?
Nos élèves et nos étudiants bousculent la langue française : il suffit de voir leurs productions écrites ou orales lors des examens trimestriels ou nationaux. Leur français inquiète les profs qui sont confrontés quotidiennement aux multiples charabias et chinoiseries et toutes sortes d’amphigouris et de galimatias. Le langage des SMS, adopté par la majorité des jeunes d’aujourd’hui, vient de donner le coup de grâce à la langue française dans nos établissements : mots mutilés, abréviations, transcription phonétique des mots, mélange de langues, vocabulaire familier et vulgaire. Et dire que le français est affecté du coefficient 4, le plus élevé par rapport à ceux des autres matières dans les collèges (7e, 8e, 9e de base) et jouit d’un volume horaire important (entre 4 h et 5 h par semaine). Là où le bât blesse, c’est qu’à partir de la 1ère année secondaire, le français devient la langue véhiculaire de la majorité des matières enseignées (maths, physique chimie, technologie, informatique, économie, gestion…) ; c’est là où le besoin du français se fait de plus en plus sentir au secondaire, alors que la majorité des élèves n’y est pas suffisamment préparée ni au primaire ni au collège. Il va de soi que pas mal d’élèves ratent leurs devoirs à cause d’un déficit de langue, ce qui constitue un blocage chez l’élève au niveau de la compréhension des consignes et lors de la rédaction des réponses.
Le français n’est donc plus la seconde langue d’antan, mais bel et bien une langue étrangère qui doit être enseignée en tant que telle. Or, il paraît qu’il y a un hiatus dans l’enseignement de cette langue entre les différents niveaux du cursus scolaire. En arrivant au collège, l’élève rompt complètement avec ce qu’il apprend au primaire pour entamer un programme qui, de l’avis de pas mal d’enseignants, n’assure pas de continuité. Le passage au lycée pose également un problème à l’élève qui se trouve du jour au lendemain obligé de suivre des cours dans plusieurs disciplines en français alors qu’elles ont été assurées en langue arabe au collège. Les étudiants sont eux aussi confrontés à ce déficit de la langue française, une fois appelés à rédiger un mémoire de fin d’études ou plus tard, à rédiger une lettre de motivation ou un C.V ou encore à tenir une discussion en français avec le recruteur lors d’une entrevue. Pourtant, la France demeure notre principal client et fournisseur sur le plan économique et la majorité des administrations tunisiennes continue à utiliser le français notamment dans leurs opérations commerciales, ce qui suppose une bonne maîtrise de cette langue de la part de nos diplômés.
La presse francophone en Tunisie à court de lecteurs
La presse francophone en Tunisie, comme d’ailleurs dans plusieurs pays arabes dits francophones, semble en crise, sachant qu’elle n’attire plus l‘attention des lecteurs qui se tournent de plus en plus vers la presse en langue arabe. Ce phénomène a été constaté depuis des années et un cri d’alarme a été lancé par un panel de journalistes réunis sous l’égide de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) à l’occasion de l’ouverture du Salon francophone du livre à Beyrouth en décembre 2014. Ce manque d’intérêt pour les éditions en langue française (journaux, revues, magazines et livres) n’est pas à démontrer. Il suffirait de voir du côté des kiosques où les éditions en langue française exposées sont beaucoup moins nombreuses que celles en langue arabe. «Ce sont surtout les journaux arabes qui sont les plus vendus, nous a confié un vendeur de journaux, rares sont ceux qui viennent acheter une édition en langue française. Par le passé, les journaux francophones se vendaient comme des petits pains. Aujourd’hui, c’est différent. Pourtant, la presse francophone est encore présente chez nous.»
En effet, de l’avis de tous, la presse francophone dans notre pays a joué un rôle de premier ordre et a toujours eu ses lecteurs assidus grâce à sa qualité et sa crédibilité. Aujourd’hui, elle semble en recul par rapport aux années d’antan, bien que gardant encore les mêmes valeurs qu’elle essaie toujours de défendre. Car l’importance de la presse francophone réside non seulement dans son apport pour la sauvegarde de la langue française, mais aussi et surtout pour sa défense des valeurs démocratiques, d’un projet de société et d’une éthique professionnelle.
Certes, le recul du niveau général en français chez nos citoyens se répercute sur la lecture des éditions en langue française et par conséquent, sur la mévente des journaux francophones. Et pourtant, la presse francophone survit chez nous, malgré tout, pour servir la société, quoique le nombre des lecteurs soit restreint. Le problème réside dans un malentendu à la base : la langue officielle en Tunisie est l’arabe, mais il n’a jamais été spécifié que le français devait disparaître.
Hechmi KHALLADI
