Parmi les innovations introduites dans le système électoral local figure désormais la possibilité pour les citoyens de retirer leur confiance à un élu. Cette procédure, prévue par la Constitution tunisienne et encadrée par la législation relative aux élections et au fonctionnement des conseils locaux, offre aux électeurs un outil de contrôle direct. Un dixième des électeurs inscrits dans une circonscription peut initier cette démarche en déposant une requête auprès de l’ISIE, ouvrant ainsi la voie à l’éventuelle révocation de l’élu concerné.
Ainsi, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle de la Tunisie, une demande de retrait de confiance visant un membre du conseil local de Chorbane a été officiellement déposée par un dixième des électeurs inscrits de la circonscription. Suite à son acceptation par l’instance électorale, cette demande a fait l’objet d’un scrutin organisé le dimanche 28 septembre à l’imada d’El Gouacem Ouest (délégation de Chorbane). Selon les résultats communiqués, 498 électeurs ont voté contre le retrait de confiance, alors que 427 électeurs ont voté pour.
Une première dans l’histoire constitutionnelle de la Tunisie
Il s’ensuit que le membre du conseil local concerné conservera son siège jusqu’à la fin de son mandat, selon ce qu’a déclaré récemment le président de l’ISIE Farouk Bouasker. Il a encore souligné qu’aucune nouvelle pétition visant à retirer de nouveau la confiance ne pourra être introduite contre cet élu avant l’expiration de la période en cours.
En fait, sur le fond cette procédure incite davantage les élus à ne pas faillir à leur mission qui consiste à défendre les intérêts des citoyens qui les ont élus et mandatés, sans tenir compte des intérêts partisans ou privés. C’est un mandat impératif, inspiré à la base par Jean Jacques Rousseau, adepte de la démocratie directe, en vertu de laquelle il existe un dispositif de contrôle populaire et de révocabilité des élus. Cette théorie s’appuie, comme l’affirme Jean Jacques Rousseau, sur l’idée que la souveraineté appartient au peuple et ne saurait en aucun cas être aliénée. Tandis que le système du mandat représentatif, l’élu agit à sa guise, n’est pas tenu de respecter les engagements qu’il aurait pris devant ses mandants. C’est la question du lien entre souveraineté et pouvoir, qui a suscité diverses polémiques entre politiciens et théoriciens du droit constitutionnel. Quoi qu’il en soit, la Tunisie a longtemps enduré les attitudes de certains élus qui œuvraient dans la plupart des cas, à préserver des intérêts partisans et privés, au détriment de l’intérêt général. Les abus et les dérapages de certains députés durant la dernière décennie ne peuvent que confirmer cet état de fait.
Restaurer la confiance du citoyen dans les institutions locales
Depuis le 25 juillet 2021, le Président de la République Kaïs Saïed n’a eu de cesse de rappeler que la souveraineté appartient au peuple, et que l’intérêt général doit primer toute autre considération. C’est dans cet esprit qu’a été instituée une procédure inédite en Tunisie : la procédure de récusation d’un député, s’il est jugé par un certain nombre d’électeurs comme ayant failli à la mission qui lui a été confiée. Une procédure constituant une soupape démocratique qui peut restaurer la confiance dans les institutions locales, surtout après des scandales ou des défaillances graves. Sauf que dans le cas d’espèce, si l’élu a finalement conservé son siège, il n’en reste pas moins que les raisons de cette procédure de retrait de confiance restent inconnues. A-t-il failli à ses engagements, et dans ce cas, les 427 personnes qui ont voté favorablement pour le retrait de confiance, comment pourront-ils compter sur lui à l’avenir et jusqu’au terme de son mandat ? Ce qui paraît contradictoire. Toujours est-il que selon plusieurs observateurs, la plupart des citoyens n’ont pas été éclairés sur les raisons qui ont incité à entreprendre cette procédure de retrait de confiance à son encontre. Que lui reproche-t-on ? La question se pose même pour lui afin qu’il puisse y remédier à l’avenir. Ne pas savoir clairement ce qu’on lui reproche l’empêche de corriger ses erreurs, d’améliorer son travail et de rétablir un lien de confiance avec ses électeurs. Une telle situation, loin de renforcer la démocratie locale, peut au contraire accentuer la méfiance et nourrir la confusion.
Replacer le peuple au cœur du processus décisionnel
En définitive, la procédure de retrait de confiance s’inscrit dans la logique de la démocratie populaire mise en avant par le Président de la République Kaïs Saïed depuis le 25 juillet 2021. Elle traduit la volonté de replacer le peuple au cœur du processus décisionnel, en lui conférant un droit inédit qui consiste à sanctionner directement ses représentants lorsqu’ils faillissent à leurs engagements. S’il est correctement encadré, ce mécanisme peut devenir un puissant outil de responsabilisation, capable de renforcer le lien de confiance entre gouvernés et gouvernants et d’assurer une véritable reddition des comptes. Toutefois et afin que cette innovation institutionnelle tienne toutes ses promesses, elle doit impérativement s’accompagner de transparence et d’une communication claire. À défaut, la démocratie participative voulue par le Chef de l’État risque de perdre sa substance et de se transformer en facteur d’instabilité politique. L’enjeu est donc de taille : faire de ce dispositif non pas une arme de division ou de règlement de comptes, mais un levier de crédibilité et d’ancrage démocratique, au service exclusif de la souveraineté du peuple.
Ahmed NEMLAGHI
