La question des retraites en Tunisie revient aujourd’hui avec une acuité particulière. Alors que le pays traverse une crise économique persistante, marquée par une inflation galopante et une hausse généralisée du coût de la vie, une partie importante des personnes âgées se retrouve dans une situation de fragilité sociale alarmante. D’après les estimations de la Fédération générale des retraités, environ 700 000 anciens travailleurs perçoivent chaque mois une pension inférieure au salaire minimum garanti (SMIG), les condamnant à vivre dans une précarité quasi permanente.
Les chiffres avancés par la Fédération dressent un tableau sombre : sur près de 1,6 million de retraités tunisiens, près de la moitié ne disposent pas de ressources suffisantes pour couvrir leurs besoins élémentaires.
Certaines pensions plafonnent à peine à 300 dinars par mois, soit un montant largement insuffisant face aux dépenses quotidiennes liées au logement, à l’alimentation, aux soins ou encore aux charges énergétiques. Avec un SMIG avoisinant 500 dinars et un coût de la vie qui ne cesse de grimper, cette tranche de la population se retrouve en dessous de ce que l’on pourrait appeler un seuil de dignité. Loin d’offrir la sécurité promise après des années de travail et de cotisations, la retraite devient pour beaucoup synonyme de marginalisation et de survie.
L’économie informelle comme échappatoire
Pour compenser l’insuffisance de leurs pensions, de nombreux retraités n’ont d’autre choix que de retourner sur le marché du travail, mais souvent dans des conditions précaires. Beaucoup s’orientent vers des activités informelles : la récupération et la revente de bouteilles plastiques, le gardiennage d’immeubles, de petits travaux de rue ou des services ponctuels à bas prix. Ces emplois, loin d’être adaptés à leur âge et à leur état de santé, traduisent le désarroi d’une génération qui espérait profiter d’un repos mérité mais qui se voit contrainte de prolonger ses efforts pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Cette réalité révèle une double injustice : d’un côté, l’absence de reconnaissance sociale pour ceux qui ont contribué à l’économie nationale durant des décennies, et de l’autre, le risque d’exclusion pour ceux qui ne peuvent plus physiquement exercer de telles tâches.
La demande d’une pension minimale garantie
Face à cette situation, la Fédération générale des retraités tire la sonnette d’alarme et appelle les autorités à mettre en place un seuil minimal de pension qui assurerait un niveau de vie décent. L’organisation propose de fixer ce plancher à 1 200 dinars par mois, un montant jugé plus conforme aux réalités économiques actuelles. Selon ses représentants, une réforme en ce sens permettrait de garantir aux aînés un revenu qui ne les condamne pas à l’humiliation ou à la dépendance. La pension ne devrait pas être envisagée comme une simple aide, mais comme un droit acquis en contrepartie de décennies de cotisations et de services rendus à la société.
Outre la question des pensions, les retraités tunisiens se heurtent également à un système de santé qui peine à répondre à leurs besoins spécifiques. L’accès aux médicaments, les délais d’attente dans les hôpitaux publics et les coûts élevés des soins privés aggravent encore leur vulnérabilité. La Fédération insiste donc sur la nécessité de renforcer la couverture médicale, en particulier pour les affections chroniques qui touchent davantage les personnes âgées. L’amélioration de l’offre publique en matière de soins, ainsi qu’une meilleure prise en charge des médicaments essentiels, sont considérées comme des priorités absolues.
L’appel à des mesures fiscales équitables
Un autre point soulevé par les représentants des retraités concerne la fiscalité. Actuellement, les pensions de retraite sont soumises à l’impôt sur le revenu, ce qui ampute davantage des sommes déjà modestes. La Fédération plaide pour une exonération totale de cet impôt, estimant qu’il est injuste de ponctionner des revenus si faibles et vitaux pour la subsistance quotidienne. Une telle mesure, au-delà de son aspect financier, enverrait également un signal de respect et de reconnaissance à l’égard des générations qui ont contribué au développement du pays.
La crise que traversent les retraités ne se résume pas à une simple question budgétaire, elle met en jeu les fondements mêmes de la solidarité nationale. Dans une société où le vieillissement de la population est inéluctable, ignorer le sort des aînés reviendrait à fragiliser durablement le tissu social. Le respect et la dignité des personnes âgées doivent être placés au cœur des politiques publiques. Les discours officiels sur la justice sociale ou la protection des plus faibles ne peuvent avoir de sens que s’ils se traduisent par des mesures concrètes. Sans une réforme courageuse, le pays risque de voir grandir un sentiment d’abandon parmi ceux qui ont travaillé toute leur vie pour bâtir la Tunisie d’aujourd’hui.
Le constat est clair : environ 700 000 retraités vivent aujourd’hui en Tunisie avec des pensions inférieures au SMIG, et donc dans une précarité incompatible avec la dignité humaine. Il ne s’agit pas d’un problème marginal, mais d’un défi majeur qui interpelle directement l’État et la société. Instaurer une pension minimale décente, améliorer la couverture sanitaire et alléger la charge fiscale des aînés sont autant de mesures urgentes et nécessaires. Plus largement, il s’agit de redonner à cette génération la place et la considération qu’elle mérite. La retraite ne devrait pas être un fardeau, mais une période de sérénité et de reconnaissance. Or, pour des centaines de milliers de Tunisiens, elle se résume aujourd’hui à un combat quotidien pour survivre. Répondre à cette situation n’est pas seulement un impératif économique, c’est avant tout une question de justice et d’humanité.
Leila SELMI
