Les derniers chiffres publiés par l’Institut national de la statistique confirment ce que ressentent les Tunisiens dans leur quotidien : la vie devient chaque mois plus chère. En septembre 2025, l’indice des prix à la consommation a progressé de 0,6% par rapport à août, tiré principalement par la hausse des produits alimentaires (+1,3%) et des services liés à l’éducation (+3,7%). Derrière ces données techniques se cache une réalité amère : l’érosion continue du pouvoir d’achat du citoyen lambda, dont les revenus ne suivent plus le rythme de l’inflation.
Sur un an, le taux d’inflation s’est établi à 5% en septembre, contre 5,2% le mois précédent. Ce léger recul est trompeur, car il ne reflète pas une baisse réelle des prix, mais seulement un ralentissement du rythme de leur progression.
Dans les faits, les produits alimentaires, qui représentent plus du tiers des dépenses des ménages, continuent de grimper plus rapidement que la moyenne générale, enregistrant une hausse annuelle de 5,7%. Ce décalage constant entre les revenus et le coût de la vie maintient les familles dans une tension budgétaire permanente, avec un sentiment d’essoufflement économique généralisé.
Les denrées de base en forte hausse
Les produits les plus consommés connaissent une flambée inquiétante. Les légumes frais affichent une augmentation spectaculaire de 21,1% sur un an, suivis par la viande d’agneau (+20,2%), les poissons frais (+10,3%), les fruits (+9,9%), les chocolats (+6,1%) et les volailles (+5,1%). Autant de hausses qui frappent directement le panier de la ménagère. Ces chiffres traduisent une hausse généralisée du coût de production — aliment pour bétail, transport, énergie, intrants agricoles — à laquelle s’ajoute la spéculation sur certains produits saisonniers. Les marchés populaires, autrefois considérés comme un refuge pour les familles modestes, ne sont plus épargnés par la flambée. Aujourd’hui, un simple sac de courses pèse lourdement sur les budgets familiaux, obligeant les ménages à réduire la qualité ou la quantité de leurs achats.
Des repas de plus en plus difficiles à équilibrer
La conséquence directe de cette hausse est visible dans les assiettes. De nombreuses familles déclarent ne plus pouvoir consommer régulièrement de la viande, des poissons ou des fruits. Le régime alimentaire tunisien, déjà fragilisé par les contraintes économiques, tend à se déséquilibrer. Certains foyers se contentent de repas simples, centrés sur les pâtes, les légumineuses ou le pain, au détriment d’une alimentation variée et nutritive. Cette évolution, bien au-delà du simple inconfort, pose une question de santé publique. Une alimentation déséquilibrée, pauvre en protéines et en vitamines, risque d’accentuer les problèmes de malnutrition, en particulier chez les enfants et les personnes âgées.
Une baisse isolée, celle des huiles végétales
Seul point positif dans ce paysage morose : les huiles végétales ont connu une baisse marquée de 24,3% sur un an. Cette diminution s’explique par la stabilisation des cours mondiaux et par les efforts d’importation et de subvention menés par les autorités. Mais cette amélioration reste limitée dans son effet global, car elle ne compense pas la hausse des autres produits de première nécessité. De plus, le poids des huiles dans la structure du budget alimentaire est relativement faible, ce qui réduit l’impact réel de cette baisse sur le panier moyen.
Pression quotidienne
Pour le citoyen moyen, la hausse des prix n’est plus une donnée abstraite : c’est une pression quotidienne. Avec un salaire minimum d’environ 500 dinars et des revenus souvent figés, de nombreux Tunisiens peinent à joindre les deux bouts. Les retraités, les petits fonctionnaires, les travailleurs précaires et même une partie de la classe moyenne sont contraints à des sacrifices permanents. Les dépenses non essentielles sont supprimées, les loisirs reportés, et les achats alimentaires sont revus à la baisse. La population fait face à un choix permanent entre payer ses factures, se soigner ou se nourrir correctement. Dans ce contexte, la notion même de confort disparaît, remplacée par celle de survie économique.
Une fracture sociale qui s’élargit
L’inflation agit comme un révélateur des inégalités. Si les foyers les plus aisés parviennent à absorber la hausse des prix, les plus modestes s’enfoncent davantage dans la précarité. L’écart entre les classes sociales se creuse, et la frustration grandit. Dans certaines régions rurales, la situation est encore plus criarde, car les produits de base y sont parfois plus chers qu’en milieu urbain en raison des coûts de transport. Cette pression constante accentue le sentiment d’abandon d’une partie de la population, déjà fragilisée par le chômage et la faiblesse du pouvoir d’achat.
Un appel à des mesures urgentes
Face à cette flambée, les économistes appellent à une réaction rapide des pouvoirs publics. Il s’agit avant tout de rétablir un équilibre entre les revenus et les prix à travers une revalorisation du SMIG, une lutte efficace contre la spéculation et une meilleure régulation des circuits de distribution. Certains plaident également pour un ciblage plus précis des subventions, afin qu’elles bénéficient réellement aux ménages à faible revenu. Le renforcement du contrôle sur les marchés et la transparence dans la formation des prix sont jugés essentiels pour freiner la dérive actuelle.
La hausse continue des prix alimentaires n’est pas une simple conjoncture passagère, mais un symptôme profond du déséquilibre économique du pays. Elle met en lumière la fragilité des politiques de soutien au pouvoir d’achat et l’urgence d’une stratégie globale. Pour des milliers de Tunisiens, le quotidien est devenu une lutte silencieuse contre la cherté de la vie. Restaurer la confiance passe par des mesures concrètes : augmenter les revenus, maîtriser l’inflation et protéger les plus vulnérables. Car au-delà des chiffres, c’est la dignité du citoyen tunisien qui se joue dans cette bataille du panier.
Leila SELMI
