Chaque rentrée scolaire est accompagnée d’un phénomène qui inquiète les parents autant qu’il mobilise les autorités : la prolifération du trafic de drogue aux abords des lycées et collèges. À Sidi Hassine, les agents de la brigade de police judiciaire ont mené ces derniers jours une série d’opérations ciblées dans les environs des établissements éducatifs. Ces descentes répétées ont permis de démanteler un vaste réseau local de trafic de stupéfiants et d’interpeller plus de quarante individus impliqués dans la vente de produits illicites.
Ce type d’opération n’est pas une première. Chaque année, au moment où les cours reprennent, les forces de l’ordre intensifient leurs efforts pour sécuriser l’environnement scolaire.
Les trafiquants profitent souvent de cette période de reprise pour s’implanter à proximité des établissements, ciblant une clientèle jeune, vulnérable et curieuse. Les trottoirs, cafés et ruelles avoisinantes deviennent des zones d’échanges discrets, parfois même à quelques mètres seulement des portes d’école.
Les autorités affirment que ces campagnes de lutte contre le trafic visent non seulement à neutraliser les réseaux, mais aussi à prévenir l’initiation des élèves à la consommation. Car derrière chaque arrestation se cache une réalité sociale plus profonde : celle d’une jeunesse exposée à la drogue dans son environnement immédiat, souvent sans réelle conscience des dangers.
Des réseaux bien structurés
Les enquêtes menées par la police ont mis en lumière l’existence de réseaux locaux bien organisés. Les dealers ne sont plus de simples consommateurs revendant de petites quantités, mais des acteurs structurés, coordonnés et souvent liés à des réseaux plus larges. Certains opèrent à proximité directe des établissements scolaires, d’autres livrent discrètement sur commande via les réseaux sociaux ou des applications de messagerie. Lors des dernières opérations à Sidi Hassine, les agents ont saisi différentes substances : comprimés psychotropes, résine de cannabis (zatla) et parfois même des drogues de synthèse importées. De l’argent liquide, provenant du commerce illicite, a également été confisqué. Ces résultats confirment que le trafic ne se limite plus aux zones isolées mais s’étend jusque dans les quartiers résidentiels et scolaires.
Les élèves, cibles privilégiées des trafiquants
Les adolescents représentent une clientèle facile à atteindre pour les dealers. Leur curiosité, leur besoin d’appartenance et leur vulnérabilité émotionnelle en font des proies idéales. Les trafiquants s’infiltrent dans leur environnement quotidien, se présentant parfois comme des amis ou des figures influentes dans le quartier. Certains jeunes tombent ainsi dans le piège de la consommation dès leurs premières années de lycée. Des études locales et des témoignages d’enseignants montrent que la consommation de drogue à l’adolescence n’est plus un cas isolé. Si la « zatla » reste la substance la plus répandue, les comprimés psychotropes connaissent une progression inquiétante. Faciles à dissimuler et bon marché, ils circulent largement dans les milieux scolaires. Le danger est d’autant plus grand que ces produits entraînent rapidement une dépendance physique et psychologique.
La réponse sécuritaire : entre prévention et répression
Face à cette réalité, les autorités ont renforcé la présence policière autour des établissements scolaires. Les patrouilles, descentes et opérations de surveillance sont devenues quasi quotidiennes dans les quartiers sensibles. À Sidi Hassine, comme dans d’autres régions, les brigades de la police judiciaire agissent en coordination avec les délégués régionaux de l’éducation pour identifier les zones à risque et intervenir rapidement. Mais la répression, aussi nécessaire soit-elle, ne suffit pas à éradiquer le phénomène. Les sociologues et les acteurs associatifs insistent sur la nécessité d’un travail de prévention durable. Les campagnes de sensibilisation, les interventions dans les écoles et l’accompagnement psychologique des jeunes doivent compléter les actions sécuritaires. Sans une approche globale, les trafiquants finiront toujours par réapparaître, profitant des failles sociales et du manque d’encadrement.
La répétition de ce phénomène révèle des fractures plus profondes dans la société. Le chômage, la déscolarisation et la perte de repères chez une partie de la jeunesse créent un terrain favorable à la délinquance et à la consommation de drogue. Dans certains quartiers défavorisés, le trafic est devenu une source de revenu rapide pour des jeunes en rupture avec le système scolaire. Les éducateurs et psychologues tirent la sonnette d’alarme : la drogue n’est plus perçue comme un tabou, mais comme une échappatoire à la frustration et au désespoir. La banalisation de certaines substances chez les adolescents est particulièrement préoccupante, car elle annonce un risque de dépendance précoce et de désocialisation.
Le rôle crucial de la famille et de l’école
La lutte contre le trafic de drogue autour des établissements ne peut être efficace sans l’implication des familles et du corps enseignant. Les parents doivent être attentifs aux changements de comportement de leurs enfants — isolement, baisse des résultats scolaires, troubles du sommeil ou dépenses inhabituelles. L’école, quant à elle, doit redevenir un espace d’écoute, de dialogue et de prévention. Certains établissements ont commencé à mettre en place des clubs de sensibilisation et des séances de discussion encadrées par des psychologues scolaires. Ces initiatives, encore trop rares, méritent d’être généralisées à l’échelle nationale.
Le démantèlement du réseau de Sidi Hassine n’est qu’un épisode dans une bataille qui se répète d’année en année. Chaque rentrée, les forces de sécurité reprennent la même traque, souvent dans les mêmes quartiers, face aux mêmes enjeux. Tant que les causes profondes — économiques, éducatives et sociales — ne seront pas traitées, le phénomène perdurera. Protéger les élèves ne relève pas uniquement de la police, mais d’une responsabilité collective. Lutter contre la drogue devant les écoles, c’est défendre la jeunesse tunisienne et préserver l’avenir du pays. La répression seule ne suffira pas : il faut aussi redonner de l’espoir, des perspectives et des repères à une génération trop souvent livrée à elle-même.
Leila SELMI
