Les cas d’asphyxie enregistrés ces derniers jours à Gabès, ayant entraîné l’admission en urgence de plusieurs habitants de Ghannouch à l’hôpital régional, ont ravivé un profond climat d’inquiétude. Pour la population, ces incidents ne sont ni isolés ni surprenants, car ils s’inscrivent dans une série d’alertes sanitaires récurrentes qui frappent la région depuis des années. Une fois de plus, les regards se tournent vers les rejets atmosphériques du Groupe chimique tunisien (GCT), soupçonnés d’émettre des gaz toxiques responsables de troubles respiratoires, d’irritations et de maladies graves.
Face à l’absence de réponses structurelles et à la répétition des incidents, les habitants ont dénoncé une situation qui dépasse la simple négligence pour relever un véritable abandon environnemental et sanitaire.
L’urgence d’élaborer un plan stratégique
La région de Gabès endure de cette situation de rejet de l’industrie chimique qui perdure depuis plusieurs années. C’est un ras-le-bol des négligences et de l’insouciance de certains responsables dans la région qui a fait réagir dernièrement les habitants qui se sont mobilisés pour dénoncer un crime environnemental continu. Suite à quoi, le Président Kaïs Saïed, a reçu, samedi dernier au palais de Carthage, la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, Fatma Thabet Chiboub et le ministre de l’Environnement, Habib Abid, afin de leur donner ses instructions en vue de remédier au plus vite à la situation, en ordonnant le déploiement d’une équipe à l’usine d’acide phosphorique du Groupe chimique tunisien à Gabès (CGT). Il a souligné l’urgence d’élaborer un plan stratégique visant à mettre un terme définitif à ces catastrophes environnementales. En fait, cette situation serait due selon la plupart des experts à des manquements et des négligences, dans les opérations de maintenance mais également à la non- réalisation des expertises selon les échéances prévues. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, le Président Kaïs Saïed a affirmé qu’il ne doit y avoir aucune tolérance envers ceux qui ont failli à leur devoir.
Appel à l’ouverture d’une enquête nationale
Par ailleurs, les membres du conseil local de la délégation de Gabès, ont assuré les habitants de suivre de près l’évolution des événements sur le terrain, par souci de responsabilité. Ils ont appelé également à la responsabilisation des parties concernées et à l’ouverture d’une enquête nationale transparente pour établir les causes des incidents et désigner clairement les responsables. Ils plaident en outre pour une véritable justice environnementale et des mesures de discrimination positive en faveur de la région, conformément à la Constitution et demandent la déclaration de Chott Essalem comme zone sinistrée sur les plans environnemental et sanitaire, accompagnée d’un budget d’urgence pour protéger la population.
Respect de l’environnement et de la santé des travailleurs
De son côté, la Fédération générale de la pétrochimie, relevant de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a, dans un communiqué du dimanche dernier, appelé à des solutions tendant à « renforcer le rôle de développement de la CGT, dans le respect de l’environnement et de la santé des travailleurs ». Pour cela, il faut d’abord, selon la Fédération identifier les défis dont notamment l’accumulation des effets de pollutions industrielles anciennes nécessitant une prise en charge globale, la vétusté des équipements et l’insuffisance des dispositifs de protection environnementale. D’autant plus qu’il y a un manque notoire de personnel depuis l’arrêt des recrutements en 2013, ce qui a affaibli les capacités techniques et de contrôle. Sans parler du retard dans la mise en œuvre des programmes publics d’aménagement et de réhabilitation. Un retard dû, selon certains observateurs, à une mauvaise volonté des responsables dans la région. Une approche participative, entre autorités locales, société civile, syndicats et experts, pourrait contribuer, selon la Fédération, à l’élaboration des solutions concrètes et durables.
La solution est dans l’intervention à la source du problème
Faut-il, comme l’a suggéré Firas Nasfi, militant écologiste sur les ondes d’une radio de la place, procéder à l’arrêt des unités appelées CPA 2, que les ouvriers du GCT et les experts jugent défectueuses et incontrôlables. Cette proposition, bien que motivée par la volonté de protéger la santé des habitants, soulève d’importantes réserves. En effet, la fermeture immédiate de ces unités aurait des conséquences sociales majeures, des centaines de travailleurs risqueraient de se retrouver au chômage du jour au lendemain, alors même qu’ils ont des familles à leur charge. Sur le plan économique, une telle mesure pourrait également affaiblir un secteur stratégique et dissuader de potentiels investisseurs, augmentant ainsi la marginalisation de la région. La solution ne réside donc pas dans l’arrêt brutal de l’activité, mais dans une intervention à la source du problème
Modernisation urgente des installations de la CGT
En fait, il faut, selon la plupart des experts agir à la source pour réduire les rejets polluants. Et, pour cela, une modernisation urgente des installations du GCT est indispensable. Il faut ensuite adopter des technologies propres respectant les normes internationales. En outre, il est nécessaire d’assurer la surveillance continue de la qualité de l’air, de l’eau et du sol. Il est également nécessaire de lancer un programme national de dépollution, en vue de la réhabilitation des terres agricoles contaminées. Parallèlement, il faut protéger la santé des habitants, avec un dépistage systématique des maladies respiratoires et chroniques et la création d’unités médicales spécialisées dans la région. Avec, bien sûr, la mise en place d’un mécanisme de suivi et de redevabilité et l’obligation pour les autorités et les industriels de rendre des comptes.
Transformation dans une logique de durabilité
C’est précisément dans ce contexte que le Président Kaïs Saïed a souligné qu’il est urgent de passer à une nouvelle étape. Car il ne s’agit plus de se contenter de solutions temporaires ou de simples rafistolages destinés à apaiser la colère populaire, mais de repenser en profondeur tout le modèle industriel de Gabès. Cette transformation doit s’inscrire dans une logique de durabilité, de justice environnementale et de respect du droit fondamental de chaque citoyen à un environnement sain, tel que consacré par la Constitution. Cette prise de position présidentielle constitue un tournant majeur. Pour la première fois depuis des années, le pouvoir central semble reconnaître l’ampleur du problème et afficher une volonté d’agir de manière structurée, en allant au-delà des promesses et des mesures fragmentées. Il s’agit d’un signal fort envoyé aux habitants, aux industriels et aux institutions publiques. Un défi majeur, mais indispensable pour restaurer la justice environnementale et préserver la santé des habitants.
Ahmed NEMLAGHI
